De la lumière. Elle m’entoure, m'enveloppe et se referme sur moi telle un étau, comme un serpent s'empare de sa proie, dans un mouvement lent, régulier et sans appel.
Je sens la sueur perler et couler le long de mon thorax, moi qui ne transpire jamais. Sensation désagréable, les gouttes se forment puis dégoulinent, dans un mouvement lent, régulier et sans appel.
Je marche sous ce soleil, cagnard équatorial, tout de coton vêtue. Ce casque me pèse, mes chaussures sont lourdes, comme mes cinq poches, pleines d'accessoires indispensables, un calepin un stylo des gants un téléphone mes cartes d'identité des boules Quiès mes lunettes ; et ces bottes toujours aussi inconfortables qu'au premier jour. Elles se prennent dans la boue et me font mal. Je marche vers le pick-up, dans un mouvement lent, régulier et sans appel.
J'ai faim. De cette faim résignée, qui reste là en toile de fond, histoire de dire qu'elle ne nous oublie pas mais sans nous harceler, de cette faim quand on a passé l'heure de déjeuner, qu'on a trompé son ventre en dormant et qu'il n'est pas encore tout à fait réveillé. De cette faim qui martèle l'estomac, dans un mouvement lent, régulier et sans appel.
Soleil, chaleur
Vêtements, pesants
Inconfort, douleur
Faim, constante
Ne pas réfléchir, marcher
Un pas après l'autre, continuer
Respirer, marcher, ne plus sentir
Faim, soleil, douleur, sueur, chaleur
pick-up, dernier effort
Choc thermique
Dedans il fait frais. Au diable le réchauffement climatique, l'environnement, l'effet de serre. Dedans il fait frais et je ne me jetterai pas la pierre. L'odeur chaude et réconfortante de la nourriture se fraie un chemin jusque mes narines et de là jusque mes neurones qui analysent cette fragrance et lui associent une température et des souvenirs de bons moments. Quand il fait manger ce sont toujours de bons moments. Manger quand on a faim, quand on a chaud mais qu'il fait froid, qu'on est heureux d'être vêtu de coton mais qu'on aimerait bien retirer ses bottes. On ôte le casque, on vide ses poches, on se sent nu.
J'ouvre ce carton surprise, qui renferme mon repas. Au menu du jour, viande et poisson, riz, haricots blancs. Les saveurs du poisson frit et de la viande cuite dans son jus se mêlent dans un tourbillon gustatif insoupçonné et incommensurable. Une poche en plastique renferme un breuvage frais. Du jus de fraise. De mes incisives j'arrache un bout de plastique pour faire un trou dans le coin du sac et me voilà plongée dans l'antre de mon enfance, ultime réminiscence du sein maternel, sortie des tréfonds de mon inconscient sensoriel. Ou bien est-ce le soleil qui tape encore malgré cet abri de fortune où il fait frais même trop frais et trop bruyant aussi. La radio joue un air de musique, un accordéon résonne, en accord avec la voix nasillarde de ce chanteur qui geint des mots d'amour. Mes paupières se closent alors que mes mains et ma bouche se referment sur cette poche de boisson douce et maternelle.
Tête qui se balance, bruit qui s'éloigne, douleur qui s'efface, sommeil qui s'installe.
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