"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

mardi 30 octobre 2018

Portrait de femme

Aujourd'hui je voudrais vous parler de Paratha.
Autant vous dire tout de suite que ce n'est pas son vrai nom. Je continue dans ma longue tradition des surnoms qui se mangent.


Paratha travaille à la maison. Elle est femme de ménage. Et cuisinière. Et intendante. Et tellement plus encore !

Paratha connaît l'appartement mieux que nous. Elle travaillait pour les locataires précédents, et probablement ceux d'avant également. Elle travaille également pour nos voisins d'en face, ce qui lui permet d'optimiser sa gestion des tâches ménagères à tel point qu'elle pourrait ferait pâlir Taylor et son organisation scientifique du travail.

Elle arrive entre 7 et 8 heures du matin et commence par lancer les machines (linge et vaisselle), puis elle cuisine les repas. Pendant ce temps elle nettoie les chambres, consciencieusement. Elle réceptionne les courses que ses sous-traitants lui livrent à domicile. Elle a son propre réseau et gère sa petite entreprise. Une fois le repas prêt elle le laisse refroidir et nettoie la cuisine. Elle vide la vaisselle propre et le linge qu'elle renverra avec la personne qui passera livrer les habits repassés. Vers 13 heures, son travail pour la journée est terminé. Pour les deux appartements.
Planning, division des tâches, travail en temps masqué. Une vraie fée !


Paratha n'a pas de temps à perdre. Elle ne joue pas la montre, elle est pressée. Ses deux filles l'attendent à la maison, son linge, son repas aussi. Pas son mari. Elle n'a pas été consultée quand il l'a épousée. Ni quand il a divorcé. Elle me raconte comme une blague qu'il s'était lassé de ses plats végétariens à base de légumineuse (ses délicieux dals). Elle n'avait pas les moyens de cuisiner de la viande. Il est allé voir ailleurs et en a épousé une autre, qui cuisine du poulet. Jusqu'à ce qu'il se lasse du poulet, me dit-elle un sourire taquin en coin des lèvres, et qu'il ait envie de poisson.

Il n'a pas l'air de trop lui manquer.
Elle m'explique que les hommes dans sa communauté sont tous comme lui. Elle compare avec les couples chez qui elle a travaillé au fil des ans, essentiellement non Indiens. Elle me parle du couple du 3e étage, une femme Indienne et un homme Néerlandais. Il l'emmène en voyage pour les vacances, et l'aide à la cuisine. Ils font tout ensemble. Elle semble approuver.

Elle encourage ses filles à étudier, pour partir à l'étranger, et si possible trouver quelqu'un de bien. Ses filles, c'est son combat. Elles ont 17 et 20 ans. L'aînée est très responsable, elle étudie à l'Université et apprend l'allemand en plus des ses cours d'économie et de management. Pour mettre toutes les chances de son côté.
La cadette est plus frivole me raconte Paratha. Elle a une page Instagram où elle publie des photos d'elle, ainsi que des vidéos de ses chansons et danses, en cachette de sa mère et de sa soeur. Ce sont les voisines du quartier qui ont ébruité ça. Paratha la réprimande. Mais au fond elle voudrait que sa fille s'épanouisse, et est impressionnée par le nombre de fans que sa fille a su attirer et fidéliser.


Il y aurait tant encore à raconter, mais la pudeur me freine. Paratha n'a pas une vie facile.


Mais Paratha va de l'avant et elle est le plus bel exemple que ses filles aient pu trouver.
Je suis reconnaissante de l'avoir rencontrée et qu'elle fasse partie de ma vie.

dimanche 21 octobre 2018

Mon petit cahier d'écriture

Je ne sais plus d'où m'est venue cette idée. Un faisceau de références je dirais : un ami qui avait évoqué le concept, un article dans un magazine, une bloggueuse que je lis.

Les journaux intimes, tout le monde connaît. Les blogs aussi.
Mais ce n'est pas ce dont il est question ici.

Je parle ici de s'écrire à soi. Ou pour soi. Écrire en partant du postulat que ce que l'on écrit ne sera jamais lu par personne d'autre. Écrire alors comme on penserait, sans contrainte des phrases, de l'orthographe, de la linéarité, du sens. Écrire comme ça nous vient et ce qui nous vient.

En mai j'ai commencé à faire cela. J'ai soigneusement choisi un de ces cahiers aux pages très lisses et un stylo qui glisse, pour rendre la tâche plus facile, pour ne pas me créér de prétexte de ne pas écrire dedans - il fallait que ce soit agréable, pas une corvée. C'est un cahier "comme ceux des lycéens dans les films" car j'étais en voyage aux États-Unis quand cette soudaine pulsion m'a prise. Le papier et la couverture me plaisent tant que maintenant je me demande comment je ferai une fois ce cahier terminé !

Écrire sur du papier fait partie de l'expérience. On se laisse porter par l'encre, on rature si on change d'avis, et on laisse libre cours à son imagination. On passe du texte aux listes voire au dessin, on peut ajouter des flêches, des notes de bas de page, mixer les langues, ce qu'on veut comme on veut. C'est le cahier de la liberté !

Pourquoi j'écris ?
Pour regarder au fond de moi, observer ce que j'y vois. Je m'attache davantage à écrire mes observations, mes sensations, qu'à les analyser ou les juger. C'est un peu le même principe que certains exercices de méditation en pleine conscience comme par exemple - fermer les yeux et sentir le contact de son corps sur le sol ou la chaise, et ensuite scanner son corps de l'intérieur et percevoir les petits malaises physiques, sans chercher à les changer, juste pour en prendre conscience.
Je fais pareil, avec les malaises de mon âme. Sauf que je note tout, comme ça me vient.


Qu'est-ce que j'écris ?
Parfois l'inspiration vient d'elle-même. Parfois je joue avec de petits exercices que je m'invente. Inventorier toutes les sources de honte aussi loin que je m'en souvienne, sans les analyser ni les juger. Ou bien réfléchir à ce qui, enfant, me caractérisait ou me faisait rêver, pour essayer de toucher du doigt mon authenticité, ma marque de fabrique, que l'on perd parfois en chemin.
Les premières lignes du cahier ont été pénibles, parce que j'avais perdu l'habitude d'écrire en général et aussi parce que je n'avais jamais écrit pour moi uniquement. Même, petite, quand j'écrivais un journal intime, je me plaisais à croire que cet ouvrage finirait sans doute par être publié (!) et que je devais à mes futurs lecteurs d'être organisée pour les aider à suivre le fil de mes pensées.


À quoi ça me sert ?
Dans un premier temps, à prendre davantange conscience de la personne qui me regarde dans un miroir. Ça m'aide à apprendre à la connaître comme une personne extérieure. On est souvent plus indulgent avec les personnes extérieures que l'on ne l'est avec soi-même. Alors ça m'aide à faire la paix avec elle, et à poser un regard plus bienveillant sur elle, mieux l'apprécier et même à trouver (certains de) ses défauts touchants plutôt que culpabilisants.
Dans un deuxième temps, de même que la méditation, ça entraîne mon cerveau à être plus attentif en général, et plus vigilant vis-à-vis de ce qui ne va pas, en particulier. Le cerveau a une capacité à s'auto-réguler de manière subconsciente que l'on ignore bien trop souvent (lapallissade, bonjour !). Mais pour que cette auto-régulation soit possible, il faut que le cerveau soit conscient des problèmes à réguler. L'exercice d'écriture améliore cette faculté à prendre conscience de ce qui ne va pas.
Je trouve cela génial, de me dire que je n'ai pas besoin de réfléchir consciemment à des solutions, qu'il me suffit en fait de mettre le doigt sur un problème, d'être capable de le verbaliser et de le conceptualiser, pour que mon cerveau puisse faire le reste "en veille", sans mobiliser toutes mes facultés cognitives.
Vous en avez certainement déjà fait l'expérience vous-mêmes. Moi je me souviens de problèmes de maths ou de programmation auxquels je pouvais passer la journée à réfléchir sans trouver de solution, puis il suffisait que je les mette de côté et que j'en fasse abstraction (en me concentrant sur autre chose) pour me réveiller au milieu de la nuit en mode "Eureka" ! C'est un sentiment que vous avez peut-être aussi expérimenté si vous travaillez avec une équipe : il suffit souvent d'aider les membres de son équipe à verbaliser un problème pour qu'ils en trouvent eux-mêmes la solution.
Là, c'est pareil !
De nombreuses résolutions de ces derniers mois sont nées en partie de cette pratique. C'est par exemple suite à cet exercice que je me suis remise à blogger.

Parfois des semaines peuvent s'écouler sans que je ne ressente le besoin ou l'envie d'écrire quoi que ce soit. Puis par accoups je peux passer des heures plongée dans mon cahier et en perdre la notion du temps, comme un spéléologue qui explorerait une nouvelle grotte.
J'en sors toujours plus légère et comme soulagée.


Et vous ? Vous connaissez ? Vous pratiquez ? Avez-vous d'autres pratiques aux vertus similaires ?

dimanche 7 octobre 2018

L'arabe du présent

Je suis Arabe.

Aussi loin que je me souvienne, "arabe" a été un terme à connotation négative. Dans les médias, mais pas que. Dans l'inconscient collectif aussi. Et dans le mien en particulier...


Dans l'inconscient collectif, quand on pense au mot "arabe", on pense aussi, dans le désordre, à travail mal fait, à voleur, au bruit et aux odeurs, à tous ces mots (maux ?) en -iste également : extrêmiste, terroriste, islamiste, aux barbus, aux barbares et à la violence.
Si cette image négative s'est installée dès les années 70, à la suite des tragiques événements des Jeux Olympiques de Munich, elle s'est empirée pour atteindre un premier pic après le 11 septembre, puis un deuxième pic avec la création de Daesh et depuis réussit encore à nous étonner en atteignant régulièrement de nouveaux pics déraisonnés, exactement comme la pollution dans les grandes villes. Jusque quand ?

À ce compte, pas étonnant que de nombreux Français "d'origine" (arabe) soient frustrés qu'on la leur demande, leur origine. Personne n'a envie qu'on lui colle une étiquette de terroriste sanguinaire à la peau, encore moins quand on condamne tout autant cette violence.

Fait à méditer : les arabes (et musulmans) sont les premières victimes du terrorisme dans le monde.

Mais je ne suis pas là pour me lamenter sur mon sort. À vrai dire, étant une fille, je m'en sors bien mieux que mes frères arabes, dont le prénom est souvent porté comme une croix - Mohamed, Ali, Abdelkarim et j'en passe. Je n'ai pas jamais eu non plus à souffrir de contrôle de papier "aléatoire" dans la rue ou à l'aéroport.

Bref, là n'est pas l'objet de l'article.

Au contraire, il s'agit plutôt de réagir avec délectation et espoir à un mouvement que je vois se développer dans le monde... arabe !
De plus en plus de jeunes revendiquent désormais leur "arabitude".

Cela passe par l'art (stand Tunisie à la biennale de Venise), par les médias (Mille), par l'art, par la BD (comme par exemple le fantastique Arabe du Futur, dont le 4e volume vient de sortir), par la mode (la marque Lyoum par exemple qui marie artistes et cuisine tunisienne et qui a remis la calligraphie arabe au goût du jour), par des mannequins qui défilent pour les plus grands noms de la mode, par des sportifs de niveau international, par des personalités médiatisées qui renvoient une image différente (certes les soeurs Hadid renvoient une image de bombe, mais pas la même !).

Étant Tunisienne, je suis davantage au courant de ce qui se fait là-bas.
Certes la Tunisie, depuis sa Révolution du Jasmin, est clairement traversée par un renouveau, surtout artistique (je pense à Djerbahood par exemple) et ce petit pays que j'aime tant semble bouillonner et se chercher une nouvelle identité culturelle. Quoi de plus naturel dès lors, que de se tourner, entre autres, vers ses racines arabes ?



Cependant je suis convaincue que ce mouvement ne se limite pas à la Tunisie. Peut-être même que comme la Révolution, la Tunisie est un fer de lance du renouveau arabe.
De plus en plus d'Arabes réussissent à l'étranger, et plutôt que de se "fondre" dans leur culture d'accueil, ils mettent à l'avant leur côté arabe, leur différence culturelle, sereinement, avec amour et fierté. Ils vont plus loin et créent un réseau, et aident la génération future à y arriver également, sans oublier qu'ils contribuent à changer l'image du monde arabe en proposant une alternative bien plus attractive.

Et petit à petit ce que j'observe, de loin, c'est que l'image "tradi" voire violente du monde arabe est bousculée par une image "trendy" et artistique.

Je suis Arabe, et j'en suis fière !