"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

jeudi 24 février 2011

Please mind the gap...

Je suis de retour sur le continent européen l'espace de quelques jours. Ce matin à sept heures, alors que tous les atomes de mon corps étaient persuadés qu'il était 2h du mat' et me le faisaient ressentir, mon avion a atterri dans la grisaille, l'humidité, le froid et la brume londoniens. Après les 35 degrés de Barranca en cure quotidienne depuis 10 mois le choc était rude. Pas le temps de reprendre les mauvaises habitudes de bougonner, le taxi m'attendait, en route pour Abingdon.

Une heure de route plus tard, j'arrivais en banlieue d'Oxford, dans cette charmante bourgade que traverse la Tamise et héberge mon futur Tech Center. J'ai tenté de lutter mais le sommeil m'a gagnée jusque 13h. Puis direction London histoire de me fournir en vêtements chauds et de faire quelques autres emplettes. Londres est une ville que j'affectionne beaucoup, malgré tous ses défauts, sans que je ne puisse m'expliquer pourquoi. Elle me plaisait avant même que j'y mette les pieds pour la première fois. J'y retrouve aujourd'hui le bon et le moins bon. Les looks insolites, les bus et les cabines téléphoniques rouges, les gens aux couleurs Benetton, le métro et l'ordre dans les Escalators et les couloirs de transits (heureusement qu'il est précisé au mur KEEP YOUR LEFT), les voitures qui roulent à gauche et là encore Dieu merci les indications au sol à tous les croisement pour rappeler de quel côté les piétons doivent regarder avant de traverser, l'accent posh à en tomber (un des objectifs que je me suis fixés étant de maîtriser cet accent dans les six mois suivant mon installation future), les numéros de téléphones à contacter en toutes circonstances, typiquement si les toilettes publiques sont sales ou si le métro pue (le numéro se trouve parfois sur les marches de sortie du métro, il faut avoir l'oeil !).


Là il est 1h du matin, et le jet lag me gagne, malgré mon faible nombre d'heures de sommeil au compteur. Je pense que je finirai par dormir, et de toutes façons ce n'est pas comme si je n'avais pas pris l'habitude de faire des siestes à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit ! Demain rendez-vous à 9h au Tech Center. Déjà ça commence bien !

dimanche 20 février 2011

O.N.E.!

Ça fait pile un an que je suis officiellement membre de la blue team ! Et cela me fait penser qu'il y a plein de petits détails sur ce qu'est réellement le field que je n'ai jamais pris le temps de vous expliquer, des choses qui étaient pour moi abstraites et, avouons-le, dont je me contre-balançais.

Il faut dire que je pars de loin. Je n'ai jamais envisagé de travailler dans l'industrie, et encore moins pétrolière. À l'heure d'accepter ce boulot, des mois avant de le commencer réellement, je pensais que les ingénieurs terrain travaillaient sur le terrain, genre 24/7 sur plateformes, d'un puits à l'autre. Où dormaient-ils, où mangeaient-ils, cela n'était que détail logistique, je ne soupçonnais même pas qu'il faille préparer son équipement et son job, dans une base consacrée. Je n'ai pas honte de le dire, j'étais la plus dummie qui puisse exister en matière de services pétroliers, et complètement ingénue avec ça.

Alors en vrai je vais vous raconter comment ça se passe.

Il y a d'abord la base. C'est là où l'on va travailler "par défaut", i.e. quand on n'est pas sur un job. Dans une base travaillent plusieurs segments d'activités terrain, nous nous côtoyons tout en étant "manageurialement" complètement indépendants. Il y a aussi tout le personnel de soutien, les RH, IT, et autres supply chain qui nous aident à recruter des stagiaires, réparent nos PC et passent nos commandes diverses, autres que celles spécifiquement liées à notre segment, autrement dit papeterie, informatique basique, camionettes, et puis qui s'occupent du logement, des téléphones cellulaires et tout le tintouin.
Quand on travaille à la base, on a des horaires à peu près corrects, si tant est que commencer à 7:30 du matin est correct, ce qui n'a pas encore été démontré. On y va aussi les week-ends, sauf avis contraire des boss.
(photo de l'aire réservée à mon segment à la base)

Le travail à la base consiste à préparer nos jobs. Dans le cas de mon segment, completions, cela consiste à faire des tests de pression de gros tubes customisés. Et on répare aussi certains de nos équipements, on lave, démonte, remonte, à coup de clés qui m'arrivent aux hanches et pèsent une dizaine de kilos !
Quand je ne suis pas à l'atelier, à l'air libre sous le soleil équatorial et les 38 degrés moyens de notre tempérée Barrancabermeja, c'est que je suis dans les bureaux climatisés à 18 degrés qui m'imposent de porter ma petite laine, on ne se refait pas.
Dans le bureau, une sorte d'open space pouvant accueillir six personnes et en accueillant parfois jusque dix, on travaille sur notre ordinateur, à la partie digitale du job. Réaliser le design de ce que l'on va installer (un peu comme un architecte dessinerait le plan de ce qu'il va construire avant de le construire), compiler toutes les données dont on aura besoin sur le job, et remplir tous les documents d'envoi d'équipement, de personnel, bref toute la paperasse logistique.
Il y a aussi toute la partie du boulot qui se passe au téléphone, l'outil s'il en est en Colombie, enfin au téléphone ou à l'avantel, une invention locale (?) qui fonctionne comme un talkie walkie mais avec une portée nationale, à en croire ceux à qui j'ai soumis mon questionnaire (cet engin m'intrigait). Bref la communication par la voix et à distance se fait beaucoup ici, pour contacter le company-man et le harceler toutes les 3 heures pour savoir quand commence le job.

Et puis c'est l'heure. Le matos lourd est envoyé par camion-grue une demi-journée à l'avance quand on peut, on charge le pick-up avec une glacière pleine de boissons fraiches et de sacs de glaçons, on prend une boîte à outils, une imprimante portative, son PC et les documents concernant le job, son casque, et un sac de survie qui inclut une brosse à dents, des lingettes pour bébé, un petit oreiller, son ipod, des chips, puis on part avec ses acolytes sur le job, sur le terrain, en s'étant assuré que l'on savait où il se situait géographiquement dans le labyrinthe des puits du champs pétrolier en question.

Ici les champs pétroliers sont très proches de la ville, et nous n'avons donc pas de container sur place. Il faut survivre dans le pick-up, pour des shifts théoriques de 12 heures. Le shift c'est la durée de travail avant que n'arrive l'équipe de relève. On se relaie ainsi toutes les 12 heures (en théorie) pendant la durée du job, à savoir entre 24 et 72 heures, sachant que pour corser le tout nous avons des restrictions de conduite la nuit : de 18h à 6h du matin on ne peut pas conduire car le risque d'accidents est très élevé.

Bien sûr toute cette organisation est propre à la ville où je suis, c'était différent quand je travaillais à Bogota. En fait toutes les bases ont leur mode de fonctionnement propre, et il faut ajouter que chaque segment a ses codes. Le fait de travailler offshore change également complètement la donne.

Voilà pour la partie générale de la vie quotidienne à la location. À venir, la partie job plus en détail, où l'on apprendra ce qu'est réellement un rig, un company-man, un monkey-man, et bien plus encore !

vendredi 18 février 2011

Lettre ouverte à ceux qui voudront bien me lire

Écrire une lettre ouverte, c'est le dernier truc à la mode en date sur facebook (pour tous ceux qui ont des amis Tunisiens) et qui suscite un réel engouement venant de mes compatriotes.

Avouez que ça claque d'écrire une lettre ouverte. Pour peu que ce soit à quelqu'un d'un peu connu et dont on est sûr que jamais il ne lira la lettre, c'est banco. Lettre ouverte à Benoît XVI. déjà il comprendrait pas la langue, et puis bon s'il avait facebook ça se saurait. Bref à des gens comme ça un peu people mais pas non plus showbiz, dont on sent tout de suite que l'auteur ne l'aime pas, par principe, style "déjà non". Enfin bref, c'est super coton de choisir sa proie.

Et puis même si je trouvais ma cible idéale, cette personne que j'aime pas et plutôt connue et dont je suis sûre qu'il ne me lira pas, jamais, il faudrait savoir quoi lui écrire. Il faudrait que j'apprenne à accuser, m'insurger, m'outrager, et puis que je m'habitue à interpeler ma victime à coup de "cessez de croire" et autres "sachez que (e.g. nous ne sommes pas dupes)". Les fautes syntaxiques doivent être disséminées tout au long de l'apologue, moi je suis sûre que c'est fait exprès, histoire de détendre l'ambiance, dans un contexte si solennel et lourd de sens. Pour vous donner un comparatif visuel, ce serait comme regarder un discours télévisé de MAM parsemé d'images subliminales des télétubbies.


Bref, mettons que je sois au point, niveau lexique, il faudrait alors trouver une raison de se plaindre, une qui en vaille la peine, j'entends. C'est là que ça se corse.
Moi les seules choses qui me révoltent en ce moment, c'est des trucs musicaux.

Déjà j'ai appris hier que j'allais manquer un concert de LCD Soundsystem à Bogota, parce que je serai à Londres. Eh ben oui, moi ça me révolte. Lettre ouverte à LCD S : "les mecs, j'accuse le coup, vous auriez pas pu venir dimanche au lieu de vendredi ? c'est abusé quoi. À bon entendeur..."
La formule finale c'est une expression consacrée, là aussi il faut connaître le jargon des expressions neuneu à employer. "J'espère que je serai entendue", "j'en appelle à votre bon sens" et ma préférée : "surtout ne partagez pas n'importe quoi sur votre wall", ce sursaut de bon sens inespéré, souvent accompagné dans le titre d'un "A DIFFUSER !!! URGENT !!! SVP" qui est là au cas où on aurait eu le bon goût de ne pas le faire.

Sinon j'ai aussi été hyper surprise, à l'annonce des Grammys, de découvrir que plus de la moitié de la planète ignore jusqu'au nom des Arcade Fire, et s'en vante. Lettre ouverte aux fans de J Bieber : get a gun and shoot. ce sera toujours ça d'anticipé sur la sélection naturelle, surtout en ces temps de menace de surpopulation, on ne peut plus s'encombrer de membres inutiles. Vraiment. J'en appelle à votre bon sens.


Enfin bref, la route est encore longue et tortueuse avant que j'aie le niveau d'interpeler par le biais de lettres ouvertes des gens connus pour leur cracher à la gueule. Et puis je préfère cracher à la gueule de masses d'inconnus sous couvert d'un blog presque anonyme.
Merci d'avoir lu jusqu'au bout. En même temps je m'adresse uniquement à ceux qui me lisent, donc à tous les autres cassez-vous vous n'avez rien à faire ici. Non mais oh !

samedi 12 février 2011

On the field

En ce moment je n'ai pas vraiment le temps d'écrire, ni de manger car j'essaie de dormir dès que je peux.
Les puits se suivent, les shifts également, pas toujours aussi équilibrés qu'on en rêverait.

Dans dix jours je m'envole pour une (presque) semaine pour le Royaume-Uni, et j'ignore encore si j'aurai le temps de faire ma valise (rectification : mes valises, puisque à mon retour je pars en congé une semaine), ni si j'aurai le temps de finir ma présentation.

Oui, je dois présenter sur place un power point résumant cette année passée sur le Field. Oui, ça va faire un an !
Il y a un an à peine je regardais les casques blancs parler au company-man en me disant que jamais je ne serais capable à mon tour d'être à leur place, pour mon niveau de langue principalement, et pour les connaissances techniques aussi... Comme quoi ! Et puis devoir supporter des nuits blanches, moi qui avais horreur de ne pas dormir suffisamment la nuit. Maintenant je fais des siestes, quelle que soit l'heure, quelle que soit la durée, quel que soit le lieu, tous les fuseaux horaires se valent, tous les refuges, la lumière, le bruit, quand il fait sommeil, je dors !

Repousser ses limites, tester sa résistance, au jour le jour. C'est ce que j'apprends ici. J'apprends aussi à confronter le monde idéaliste des formules, des règles, des cas théoriques au monde réel, à son imperfection, à ses irrégularités que l'on ne peut négliger, qui rendent la moindre de nos activités beaucoup plus compliquée que sur le papier.

Être sur le terrain, c'est comme la vraie vie, il y a des jours, nombreux, où c'est fatigant, crevant, où l'on sent qu'on n'en sortira pas vivant, et que les problèmes viennent toujours par paquets de beaucoup, et puis il y a ces rares jours où tout se passe bien, où l'on ne sent pas la fatigue, où tout roule, tout fonctionne, même le climat y met du sien, de vrais cadeaux ces rares jours sans nuages ! Et pour ces instants fugaces, on se dit que cette expérience en vaut la peine, pour les paysages, pour les rencontres, pour les leçons humaines, les connaissances techniques, pour toute cette aventure que l'on racontera à nos enfants incrédules un jour en ressortant ce vieux Power Point comme dans les films ces personnages friands de dimanches soirs rétro-diapos en famille ! Mais pour le moment, vivons-le tant qu'on en a l'opportunité !

dimanche 6 février 2011

Aléas

Depuis plus d'une semaine j'en avais marre. Je mets ça sur le compte de la dépression post-congés, et puis du fait que la routine s'installe peu à peu ici, comme je l'ai mentionné il y a quelque temps.

En fait ce qui se fait sentir aussi, c'est la solitude. Attention, je précise : je suis quelqu'un de solitaire et pense que toute personne qui me connaît un tant soit peu pourra confirmer que j'ai régulièrement besoin de me retrouver seule pour me sentir bien. Je parle ici de solitude au sens social du terme (oui ça ne veut pas dire grand chose), de pénurie de gens à qui parler de sujets autres que boulot-météo-congés.

À Bogota j'avais des amis très cultivés avec qui chaque conversation était un échange instructif et constructif. J'apprenais beaucoup sur la Colombie, mais aussi sur bien d'autres pays, sur tout et rien, et je sentais que les gens réfléchissaient à la vie en général et ne se contentaient pas de manger dormir et travailler.

Ici au contraire, rares sont les personnes avec qui je peux communiquer de la sorte, et c'est ce manque que je ressens. Discuter avec quelqu'un revient inévitablement à se voir poser des questions qui en viennent à m'exaspérer par leur fréquence. La majorité des gens ignorent jusqu'au continent où se trouve la Tunisie. Je dois me répéter moi aussi, mais cette question revient quotidiennement, avec les yeux ronds quand je prononce le mot "Tunez" que je me suis décidée à ne plus suivre de "es en Africa" pour donner aux ignorants qui souhaitent garder l'anonymat l'opportunité de faire comme s'ils le savaient et m'éviter par là même de développer le pourquoi de ma couleur de peau. Je pensais que l'actualité changerait cet état des choses. Pas du tout. Là les gens me demandent "ah et c'est près de l'Egypte ? c'est dangereux là-bas en ce moment.." et me regardent de ces yeux de douce pitié compatissante, comme on regarderait un fou certifiant que l'eau ça brûle, quand je leur apprends que les protestations en Egypte sont nées suite à la révolution populaire en Tunisie...

Ces jours-ci je me sens mieux. Je prends conscience que cette aventure sur le terrain arrive à la moitié, qu'il va falloir essayer de profiter un maximum des mois qu'il me reste. Ma date de visite au Tech Center a été fixée à cette fin de mois, et j'ai hâte d'y être pour changer d'air et avoir un aperçu du futur proche.

Par ailleurs, ce samedi après-midi nous avons profité d'une baisse d'activité pour nous accorder une partie de pêche avec quelques collègues, et ce fut l'occasion de se détendre au bord du Rio, au milieu d'un paysage équatorial. Ce genre de brefs instants redonnent tout son sens à cette aventure, ce compromis de donner de son temps, de ses amis, de sa famille, de sa vie pour goûter à des séquences de vie tout autre, que l'on n'aurait jamais imaginée et dont on se souviendra comme d'un rêve au goût salé, était-ce bien réalité ?

La cabane du pêcheur version Colombie (ci-dessus), le bord du Rio Magdalena (ci-dessous).