"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

jeudi 26 mai 2011

Roulement de tambour

J'ignore encore ce qu'il adviendra des six à huit prochains mois, mais je sais qu'ils seront loin d'ici. J'ai regagné cette position de pion mu pas une force qui le dépasse. Quand on y réfléchit bien, c'est notre état continu et constant (enfin c'est comme ça que je le vois), mais on n'en prend jamais autant conscience que lorsque l'on va changer de trajectoire ou disons pour être plus précis dans la métaphore, d'orbite, et que l'on ne sait très bien ni comment ni quand.

J'essaie de profiter de ces derniers mois (semaines ?) à Barranca où je me suis fait de bons amis, et de mener à terme certains projets qui me tiennent à coeur, faire en sorte d'avoir servi à quelque chose, d'avoir apporté ma pierre à l'édifice.

Mes amis et collègues, pour la plupart Colombiens, sont bien souvent imprégnés de la culture de travail locale. Je ne pense pas avoir pris le temps de développer les conditions de travail dans ce pays ni les relations professionnelles entre employés et hiérarchie car c'est un sujet épineux, qui n'intéresse pas spécialement, et puis par pudeur pour ne pas transformer des textes qui se veulent gais et légers en pamphlets acides et amers - mes amis m'appellent Pamplemousse.

Bref ces conditions sont très différentes des normes de travail à la française ou à l'européenne. Les droits des employés ne sont pas toujours très clairs, et l'on est en droit de se demander si la hiérarchie n'y trouve pas son intérêt. Bien sûr il s'agit de "faits divers", autrement dit ponctuels et à prendre au cas par cas, il ne faut en rien généraliser ni perdre la dimension humaine du problème.

Alors avant de m'en aller, j'essaie de proposer comme tous les jours depuis mon arrivée, une autre façon de voir, une autre façon de faire. Même si parfois ça signifie élever le ton, ou menacer du doigt, voir se faire entendre à l'étage au-dessus, il est des combats qui valent la peine d'être menés. C'est le moins que je puisse faire pour mes amis, et c'est une façon de justifier mon départ, pour lequel je culpabiliserai toujours un peu...

samedi 14 mai 2011

Mon rêve familier (à moi)

La nuit, quand je n'ai rien d'autre à faire que d'attendre que le soleil se lève pour aller me coucher, plein d'idées me traversent l'esprit, de choses à écrire, à raconter. Puis je dors, et j'oublie. Ou peut-être que la nuit quand je suis très fatiguée, je pense avoir des idées, je ne suis plus sûre.

J'écoute de la musique aussi, en regardant les paysages. Parfois c'est de la musique "d'avant", qui me fait repenser à "avant", et face à l'incongruité de la situation, d'être dans un pick-up au bord du Rio Magdalena sur un puits de pétrole au fin fond de Cantagallo, Colombie, dans un décor digne d'une contre-utopie, entre le mouvement continu des pompes mécaniques qui extirpent inlassablement le pétrole des entrailles de la terre, et l'ombre menaçante des rigs, décor bercé des ronronnements de moteurs et autres cliquetis mécaniques inquiétants, et d'écouter de la musique confortable qui me fasse penser à mes amis, à Paris (ou ailleurs).

J'ai envie de graver ces jours dans ma tête, de m'en souvenir à jamais comme de l'époque où j'ai quitté le monde "réel" des gens qui vivent leur vie normalement, pour celui de ceux qui vivent pour travailler dans l'ombre et pour que ces-premiers puissent mener leur existence en tout confort sans jamais penser à ceux qui suent à eau et parfois à sang pour faire marcher le système. Ici je côtoie les mineurs des temps modernes, sous-payés et exploités, et j'ai appris plus en 15 mois sur la vie qu'en un quart de siècle préalable.

Comment vivre en voyant au quotidien des gens qui travaillent plus que soi, à des besognes ingrates et sous-payées, quand on sait qu'ils sont parfois malades ou bien assez vieux pour être à la retraite. Je n'ai pas de réponse à cette question et j'en viens à envier ceux qui sont loin et n'en savent rien. Au lieu de réfléchir, je me cale dans la camionnette, j'allume mon lecteur et je me laisse porter loin d'ici, dans un monde qui d'ici a l'air imaginaire.

***

C'est l'histoire d'un Australien qui travaille en Inde, qui discute avec une Belgo-Tunisienne qui travaille en Colombie, ça s'invente pas. L'Aussie est un "Music Mate", une personne qui, malgré une vie et un bagage culturel sensiblement différents, se trouve avoir les mêmes goûts musicaux que moi, goûts incluant de la musique qui ne sera sans doute jamais connue ni reconnue à sa juste valeur (exemple) mais qui trouve son public à travers le monde.

Il y a près de trois semaines, cet ami me demandait si j'avais fait de nouvelles découvertes récemment. C'est là que j'ai réalisé que depuis des mois j'avais arrêté d'écouter de la musique. Et depuis des mois aussi je perdais ma bonne humeur, ma joie de vivre. De la poule ou de l'oeuf, je n'ai pas vraiment cherché qui était qui. À la place je me suis remise à jour côté discographie, et me remets à écouter des titres "bonne humeur". La musique que je préfère est celle qui me semble familière, comme l'inconnue de cet autre, qui n'est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Cette musique qui me suit à travers les années, les pays, les périples, m'accompagne pour le meilleur et pour le pire toujours fidèle et compréhensive.
Je ferme les yeux et me laisse bercer, "et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a l'inflexion des voix chères qui se sont tues".


lundi 9 mai 2011

Mi querida Colombia

Vraisemblablement mon aventure en Colombie approche de son épilogue. D'ici fin août, au plus tard, je vivrai ailleurs, même si ma prochaine destination reste encore floue - entre un retour au centre technologique, au Royaume-Uni, ou une autre base quelque part dans le monde.

Ça fait déjà plus d'un an que je suis ici, mine de rien et pourtant, côté géographie, je n'ai pas visité la moitié de tout ce que j'aurais aimé voir de ce pays. C'est cela dit un prétexte parfait pour revenir, un jour, avec des amis ou de la famille, pour partager un peu de cette aventure que j'ai vécue, et repenser au "bon vieux temps", raconter une anecdote sur la culture local ou un souvenir de "l'époque où je vivais là".

Si je reviens, ce ne sera pas pour les puits de pétrole, ni même pour Barranca, qui derrière ses aspects rebutants, son climat adverse et son histoire mouvementée restera mine de rien un très bon souvenir de petite ville où il fait bon vivre, une sorte de Neverland où les jours se suivent et se ressemblent, où les saisons ne veulent plus rien dire, où l'on perd si facilement la notion du temps, et où l'on pourrait vieillir avant même d'avoir vu passer sa vie.

Si je reviens, ce sera pour visiter la Colombie, ses régions dont on m'a tant parlé, voir ses paysages. Je voudrais découvrir les Caraïbes et ses villes mythiques telles que Cartagena ou Barranquilla. Puis je visiterais les cultures de café, ces vallées à perte de vue qui offrent des paysages dignes de posters de WC au format A-zéro. Je continuerais jusque la côte pacifique encore un peu sauvage, de préférence en suivant le cours d'un fleuve. Comment ne pas découvrir les grandes cités du pays, Medellin, la ville des fleurs, de l'éternel printemps et d'Escobar, Cali pour la salsa et le métissage culturel, Bucaramanga pour ses parcs naturels. Et l'Amazone, ses animaux sauvages, la forêt, le fleuve, les insectes, comment ne pas vouloir découvrir cette région tant redoutée par l'homme, et pourtant si proche et facile d'accès ici. Je ne voudrais surtout pas oublier los Llanos, cette savane équatoriale, entre plaine et marais, sorte de Camargue inter-tropicale, dont beaucoup d'amis m'ont dit le plus grand bien (à part ceux qui y travaillaient sur plateformes et dormaient dans des containers).

J'ai bien peur que les jours manquent pour visiter tout ce pays. Un an à plein temps ne serait pas de trop. En attendant de tout voir, je me contente de regarder les photos de ce qui se trouve à portée de main, mais pourtant inaccessible. À peine rentrée d'un puits, demain j'ai un autre job.

dimanche 1 mai 2011

What comes around goes around

Le temps des congés, j'ai fait comme si je vivais toujours en France, comme si je n'étais jamais partie. J'ai essayé de parler le moins possible de là-bas, d'oublier où je vis, ce que je fais.

Au début c'était parfait. Il faisait beau, j'étais bronzée et en vacances, je voyais mes amis. Et puis je crois que je suis restée un poil trop longtemps, et Paris s'est laissé aller, comme une ménagère qui aurait troqué ses belles manières de jeune mariée pour des bigoudis et des crocs, passées les noces de laine ou le troisième gosse.

D'abord, comme il fait beau, les fous sont de sortie. En me baladant je me suis fait aborder par des gens chelous de manière récurrente, par des fous du quartier, des relous de passage ou des excentriques saisonniers.

Je sais pas vous, mais j'ai remarqué depuis quelques années déjà qu'à Paris vers avril, c'est comme s'il y avait une Felindra tête de Fous qui les lâchait tous sur la ville avec les premières chaleurs. Comment on reconnaît un fou ? Il parle seul ou à la cantonade, voire s'adresse à des passantes, avec un e, car ils s'adressent uniquement aux filles. Il chante ou pose des questions indiscrètes ou demande juste l'heure parfois avec de bonnes manières, toujours imprégné d'un air chelou et d'une odeur qui rappelle que les beaux jours sont de retour, avec tous les mauvais côtés que cela implique. Un jour dans un bus vers Opéra un Fou m'a demandée en mariage. Il a aussi demandé en mariage toutes les autres filles du bus, il était prêt à partager. Le même jour, dans un Mc Do bondé à 22h - autre preuve du retour du beau temps, le classique sundae de dix heures du soir - rue Soufflot, un autre fou avait squatté notre table et avait causé Interim avec une amie à moi (on était alors dans la même classe, en prépa), qui lui avait répondu qu'elle se sentait pas trop concernée vu qu'elle étudiait la géographie à la fac, mensonge qu'elle avait débité avec une telle aisance qu'elle m'en avait presque convaincue, moi aussi.


Retour à ces congés. En discutant avec mes amis, on a forcément parlé politique. C'était pas volontaire je vous jure. Il faut dire qu'après ce que j'ai pu lire ici ou , j'ai veillé à ne pas aborder les sujets qui fâchent. Or il se trouve que beaucoup de mes amis sont étrangers, et sont pile à cette période de leurs vies où ils ont commencé une procédure de naturalisation, ou sont sur le point de se lancer. Et c'est avec curiosité, étonnement puis déception que j'ai écouté le récit de leur marathon au Graal qui leur permettra, qui de pouvoir quitter la France sans cette frousse de plus pouvoir y revenir, qui de repasser du statut de salarié à celui d'étudiant, chose inaccessible aux étrangers, qui enfin de ne plus devoir vivre des humiliations pour le moins annuelles dès qu'il s'agit de renouveler ses papiers.
Je vous avoue, moi j'y comprends rien.
Tout ce que je sais c'est que ça a l'air super hyper compliqué. Rien que la liste de papiers à fournir relève de l'épreuve olympique. Il faut des papiers dont on ignore parfois qu'ils existent donc où se les fournir, puis il faut se les procurer, parfois il faut aller les chercher en personne là où on est né, puis les traduire selon les règles de l'art par des interprètes assermentés (tout cela a un prix), et puis il faut se rendre sur place pour solliciter un rendez-vous, attendre des mois, recevoir une date de rendez-vous arbitraire et irrévocable, attendre des mois, être impérativement là le jour du rendez-vous, et je vous épargne l'amabilité des fonctionnaires rencontrés... Bref paie ta galère. Tout ça pour caresser l'espérance de pouvoir un jour voter pour des gens qui changeront tout ça, enfin j'espère...

Ah cette bonne vieille capitale. Je ne sais pas si c'est le fait que je n'ai pas eu à prendre les transports à l'heure de pointe, le soir, baignés d'effluves fermentées et égayés de conversations incongrues avec d'illustres fous inconnus, ou si c'est le fait que je n'ai ouvert ni un 20 Minutes ni pris connaissance des dernières nouveautés en matière de politique de l'immigration française et que j'ai tout fait pour ne pas savoir ce que pensent les Parisiens des Tunisiens entassés à Porte de la Villette, mais finalement, je serais bien restée à Paris, cette fois-ci.

Mais ce n'est pas prévu, demain je repars.