"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

dimanche 18 novembre 2018

Exercices pratiques pour se sentir mieux

Dans mon précédent article intitulé "envie de se sentir mieux ?", j'ai abordé des thèmes qui me tiennent à coeur : le bien-être, la neuroscience (qui nous permet entre autres de comprendre comment notre cerveau fonctionne), et ce dans le but d'apprendre à mieux se comprendre pour se sentir mieux de façon intrinsèque, sans aucune intervention, gratuitement et individuellement.

C'est un article préliminaire à celui qui suit. Il permet de se familiariser avec certains termes que j'emploie ici et aussi de mieux comprendre pourquoi les petits exercices que je propose ici ont un effet bénéfique sur n'importe qui et non pas juste sur des hippies ou des quadras en crise existentielle.


Échauffement
Le premier exercice est plus un échauffement, pour que chacun puisse se rendre compte de sa capacité à changer de mode d'expérience du réel et à basculer sur la perception du moment présent.
Concentrez-vous sur des données du monde réel que vous percevez. Si vous êtes assis en train de lire cet article par exemple, vous pouvez vous concentrer sur la sensation de vos pieds sur le sol - examinez la texture de la matière au contact de vos pieds, la structure du sol sous vos pieds, son volume, ses irrégularités, sa température.
Ou bien vous pouvez aussi vous concentrer sur ce que vous voyez, strate par strate, du plus proche au plus éloigné (les cils, puis les lunettes pour ceux qui en portent, les membres et son propre corps, etc.) ou sur les sons qui parviennent à vos oreilles.
Faites l'exercice pendant dix secondes. Si vous pouvez utiliser une minuterie, faites-le, pour ne pas avoir à vous soucier du temps !

Si vous avez fait cet exercice, comment s'est-il passé ? Avez-vous réussi à vous concentrer sur vos perceptions pendant les dix secondes ? Ou, surtout si c'est la première fois que vous essayez, vos pensées ont peut-être réussi à se frayer un chemin dans votre esprit et vous éloigner du monde réel qui vous entoure. Si cela vous est arrivé, vous avez fait l'expérience du retour au mode par défaut. Il y a fort à parier que ce switch s'est fait de manière inconsciente, n'est-ce pas ?
C'est très difficile de se concentrer sur le réel, et notre esprit est tellement habitué à se mettre en mode par défaut qu'au début il faut réquisitionner toute sa concentration pour être en mesure de focaliser son attention sur ses perceptions plutôt que ses pensées.

Peut-être qu'une fois de retour dans vos pensées vous avez réalisé que votre esprit s'égarait et vous avez consciemment fait l'effort de vous ramener dans le moment présent ? Auquel cas bravo : cette capacité à réaliser que l'on quitte le réel est décisive, c'est un peu comme trouver l'interrupteur dans une pièce dans le noir.

Cet échauffement vous donne un aperçu de ce que c'est que de basculer entre les deux modes d'expérience, et vous donne également un aperçu de la pleine conscience.
Comme pour tout dès qu'il s'agit de notre cerveau, vous deviendrez meilleur avec de la pratique et de l'attention.


Voici quelques exercices supplémentaires que vous pouvez mettre en pratique également.


Jouer avec son enfant
Idéal car en général les parents n'ont aucun mal à porter toute leur attention sur leur enfant. Selon l'âge de l'enfant, observez son corps et sentir sa peau avec vos mains (chaleur, douceur, texture, plis), respirez son odeur, carressez ses cheveux, regardez le au fond de ses yeux, écoutez les petits sons qu'il produit.
Si vous n'avez pas d'enfant à disposition mais que vous avez un animal de compagnie à la place, vous pouvez également faire cet exercice ! Carressez-le, sentez son ronronnement (oui c'est un chat), la chaleur et la douceur de ses poils...




Se promener dans un parc
Observez la nature qui vous entoure, les arbres, concentrez-vous sur chaque arbre : la taille de son tronc, la densité de son feuillage, les couleurs du tronc et des feuilles, le son du vent dans les feuilles. Concentrez-vous sur la sensation ainsi que le bruit de vos pas contre le sol : de la boue peut-être avec un léger clapotement et une sensation de décollement à chaque fois que vous levez un pied. De l'herbe ? Le grésillement de l'herbe, l'amorti... N'oubliez pas de sentir le vent sur votre corps, ou peut-être est-ce le soleil, petits chanceux. Levez les yeux, et observez également le ciel, sa couleur, la présence de nuages, leur forme, leur couleur, leur aspect.
Sentez aussi l'odeur de la nature : du humus, des déjections canines peut-être aussi ! Bref mobilisez vos cinq sens dans cette expérience. Il y a fort à parier que même si c'est un parc que vous connaissez comme votre poche, vous allez vous surprendre à en découvrir des aspects que vous n'aviez jamais remarqués auparavant !


Le scan corporel 
Cet exercice est idéal dans les transports en commun, où on a l'illusion de n'avoir rien à contempler (surtout si on est dans un transport sous-terrain). Ici vous allez vous tourner vers vous-même plutôt que sur le monde extérieur. Fermer les yeux peut se révéler utile pour aider à concentrer son attention sur son propre corps, mais ce n'est pas obligatoire. Commencez par l'échauffement que j'ai mentionné ci-dessus, en vous concentrant sur tous les points de contact de votre corps, en percevant ces contacts un à un et en en catalogant les caractéristiques. C'est souvent plus facile de faire le scan de manière structurée, d'une extrêmité du corps à l'autre, par exemple en commençant par vos pieds pour remonter peu à peu vers votre tête.
Une fois la cartographie des points de contacts, vous pouvez redescendre, de la tête vers les pieds, cette fois-ci en vous concentrant sur les points de confort et d'inconfort dans votre corps. Surtout ne changez rien à votre corps, ne changez pas de posture pour aller mieux : l'objectif ici n'est surtout pas d'analyser, mais d'être en mesure de percevoir vos sensations de manière purement objective, sans jugement. Ça peut être une douleur musculaire, une mâchoire très serrée, un cou qui lance, des bras juste bien, une douleur abdominale, un bien-être général, etc.
Si vous pratiquez cet exercice régulièrement (quotidiennement, voire plusieurs fois par jour), vous allez vous rendre compte des tendances de votre corps et vous apprendrez à mieux vous connaître. En plus, vous allez inconsciemment devenir meilleur à rectifier votre corps, ainsi qu'à déceler les signaux faibles qui précèdent l'inconfort.

Une fois à l'aise avec le scan corporel, vous pouvez également observer les émotions qui vous traversent. Comme pour les points de confort et d'inconfort physique, n'essayez surtout pas d'analyser la cause du mal-être (ou du bien-être) psychique, mais juste de les répertorier, de les porter à votre connaissance, sans jugement. Là aussi vous allez découvrir des aspects sur vous-mêmes que vous ne soupçonniez peut-être pas jusque-là. J'aime pratiquer cet exercice à l'écrit, à l'aide de mon petit cahier d'écriture, dont je vous parlais ici.

Ces exercices sont modulables à l'infini. Lorsque vous faites vos courses au supermarché, ou que vous marchez dans la rue. Lorsque vous mangez ou préparez à manger (hmmm les odeurs, les textures, les couleurs !), jusqu'au brossage de vos dents, particulièrement intéressant si vous avez l'habitude d'y accorder peu d'attention car pour vous c'est une corvée : vos dents vous en remercieront !

À l'issue de ces exercices, vous sentez-vous mieux ?
Plus calme, appaisé, comme sur un petit nuage ?
Ça tombe bien parce que plus vous pratiquerez, plus vous pourrez non seulement retrouver cet état rapidement, mais également le prolonger.


Si vous êtes interessés et voulez pratiquer davantage, plusieurs applications proposent des méditations guidées, qui incluent généralement le scan corporel, ainsi que d'autres.
J'ai personnellement essayé deux applications que je peux vous recommander. Toutes deux proposent une dizaine de sessions gratuites : Petit Bambou pour les francophones et Headspace pour les anglophones parmi vous.



Bonne fin de weekend à tous.

jeudi 15 novembre 2018

Envie de se sentir mieux ?

J'ai longtemps cru que la "méditation" était un truc pour hippies, une sorte de placebo pour gens qui s'ennuient et qui ont besoin de s'occuper.
Pas quelque chose de scientifique, ni de cartésien. Donc pas quelque chose pour les gens rationnels.

J'ai depuis changé d'avis.

Profondément cartésienne, j'ai commencé à m'intéresser au fonctionnement du cerveau humain pour mieux me comprendre, et mieux déchiffrer les gens autour de moi, que ce soit dans un cadre professionnel ou personnel. Il y a quelques années, je commençais à gérer une équipe et j'avais envie de mieux comprendre comment mener cette mission au mieux, pour chaque individu de l'équipe comme pour le projet.

Alors je me suis plongée dans toutes sortes de lectures qui m'ont donné un éclairage nouveau.

J'aimerais introduire dans ce post un concept clé que je ne connaissais pas et dont je n'avais jamais soupçonné l'importance.
Ce concept c'est le réseau mental par lequel nous faisons l'expérience du monde.

Ce concept devrait tout particulièrement intéresser ceux et celles* (décision volontaire de passer à l'écriture inclusive) qui sentent que leurs idées se bousculent à cent à l'heure, qui n'arrivent pas à "éteindre" leur cerveau, qui paniquent en pensant à l'avenir (ou au passé), qui "ruminent", ont du mal à se concentrer, qui se sentent très (trop) émotifs, qui se sentent perdre le contrôle, voire perdre pied, qui ont des insomnies à cause de leurs pensées. Ceux et celles qui sont fatigués et s'écroulent car n'arrivent plus à entendre les messages que leur envoie leur corps.
Ceux et celles qui aspirent à une plus grande quiétude, à mieux gérer leurs émotions, à faire le calme dans leurs pensées, à arrêter ce flot incessant, à s'ancrer davantage afin d'y voir plus clair et de faire le tri, pour prendre de meilleures décisions.

Tout commence avec une étude scientifique (Farb et al) datant de 2007, qui a mis en évidence l'existence de non pas un mais de deux réseaux distincts par le biais desquels l'être humain interagit avec le monde.

Dans un premier lieu, le réseau dit du "mode par défaut", ainsi nommé car il s'active quand notre attention n'est tournée vers rien en particulier et que l'on réfléchit sur soi. Ce réseau inclut certaines régions du cortex pré-frontal (la partie analytique de notre cerveau, capable de raisonner, de plannifier et de se projeter dans l'avenir entre autres), ainsi que certaines régions responsable de notre mémoire. Par exemple, si vous marchez dans la rue, c'est comme ça qu'au lieu de contempler ce qui vous entoure, vous pouvez vous retrouver à penser à votre liste de course, aux emails que vous devez envoyer, à vos projets de vacances, ou à ruminer la dispute avec votre collègue et rejouer la scène en imaginant ce que vous auriez dû répondre.
Ce réseau, au fil du temps, crée une grille de lecture fondée sur nos valeurs, sur notre culture, sur l'historique de nos interactions humaines, une sorte de narration que l'on se conte à soi-même et que l'on entretient, qui nous permet de donner sens au monde qui nous entoure sans avoir à tout analyser à chaque fois. On appelle cette expérience à soi le "soi narratif".

Lorsque l'on fait l'expérience du monde qui nous entoure par le biais du "soi narratif", on le voit comme notre oeil verrait une image au travers d'une lentille polarisée, où l'angle de polarisation serait différent pour chacun. À cela vient s'ajouter un second filtre : notre interprétation de cette image polarisée. Par exemple quand je marche dans la rue et que je sens une goutte d'eau sur mon visage, ce n'est pas une goutte froide et liquide qui touche le haut de mon front, non c'est un signe que l'automne approche. Dorénavant il faudra garder un parapluie d'appoint dans le sac à main. Qui dit automne et pluie dit rhume. Prévoir un paquet de mouchoirs en papiers aussi. Mes chaussures vont se mouiller. Penser à les imperméabiliser avant de les porter à nouveau. Ajouter du spray imperméabilisant à la liste de courses. Est-ce que mon manteau a besoin d'être amené au pressing ? 
Bref - vous connaissez la chanson !

Il n'y a rien de mal avec le "soi narratif" en soi. Là où ça pose problème, c'est quand on utilise exclusivement ce réseau de pensée pour intéragir avec le monde.
Car il faut savoir qu'il existe un autre réseau, comme l'a démontré Farb dans son étude scientifique. Une toute autre façon de faire l'expérience du monde, qui peut nous ouvrir un champs des possibles.

Vous savez comme les enfants ont une propension à contempler le monde qui les entoure et à vivre dans et pour le moment présent ? Ils font l'expérience du monde par le "soi expérientiel", ou réseau dit d'expérience directe. Ce réseau est activé lorsque l'on observe le monde et soi-même, sans jugement : perception des sens, des pensées, des émotions.
Ce réseau fait appel à d'autres régions du cerveau : le cortex insulaire, associé aux perceptions sensorielles et le cortex cingulaire antérieur, associé à l'attention.
Quand ce réseau est activé, on ne réfléchit ni au passé, ni au futur, ni aux autres, ni même à soi. Pour tout dire, on ne réfléchit pas, on fait l'expérience au travers de ses sens, perceptions et émotions. On traite les informations de façons sensorielle, plutôt que conceptuelle.
De retour à l'exemple où je marche dans la rue, si maintenant j'active mon moi expérientiel, je ressens la fraicheur de l'air sur mon visage, la dureté du sol sous mes pieds, le poids du sac sur mon épaule droite. Je sens l'odeur des marrons chauds qui grillent dans un étal tout proche, la chaleur de la bouche d'aération du métro. Je vois les gens déambuler autour de moi, les nuages épais au ciel, j'entends le bruit des voitures qui passent, j'entends mes pas cadencés ainsi que les gens qui bavardent autour de moi. Je ressens cette goute froide sur le haut de mon front. La différence de température crispe momentanément les muscles de mon visage et je cligne des yeux. Je me sens fatiguée, et j'observe que je ressens une légère douleur à la gorge.
On commence à toucher à la pleine conscience (mindfulness en anglais), décrite comme "porter notre attention d'une certaine manière : délibérément, au moment présent, sans jugement de valeur" par Jon Kabat-Zinn, scientifique qui s'est appliqué à étudier la pleine conscience sous un prisme scientifique.


Plusieurs conclusions d'autres études scientifiques rendent ce second réseau d'expérience encore plus intéressant.

Premièrement, il est possible d'entraîner son esprit à ces modes d'expérience. En particulier, cela veut dire que plus on pratique le soi expérientiel, plus il est facile de l'activer et de le maintenir actif, et les zones activées du cerveau se renforcent avec la pratique. Autre fait : activer un de ses sens a pour effet d'activer ses autres sens. Cela signifie que lorsque l'on active son moi expérientiel, on augmente les données que l'on perçoit du monde extérieur. En particulier, on est capable de percevoir des données qui auraient été rognées par notre filtre narratif. En tout état de cause, cela nous permet d'avoir une vision enrichie du monde qui nous entoure, et de ce fait notre prise de décision est mieux informée (davantage d'informations et des informations plus précises).

Deuxièmement, les régions du cerveau associées au soi expérientiel sont également associées à la régulation de nombreuses fonctions vitales du corps humain - battements cardiaques, température du corps, sudation, hormones et donc émotions. En d'autres termes, en entraînant son cerveau à se concentrer sur ses sens, ses émotions, sur le moment présent d'une façon purement observatrice, on renforce en même temps, sans même avoir à y réfléchir, sa capacité à gérer ses émotions et réguler son corps. On devient meilleur à percevoir ses émotions négatives comme des fluctuations sensorielles plutôt que des états affectifs et l'on réduit notre réactivité cognitive à leur égard, ce qui veut dire plus simplement qu'on y devient moins sensible. Personnellement je trouve cela fascinant !

Troisièmement, ces deux réseaux d'interprétation du réel sont inversement proportionnels, un peu comme des muscles antagonistes. Cela veut dire que lorsque l'on active le soi narratif, on éteint le soi expérientiel, et vice versa. Ceci explique par exemple le classique "ai-je bien fermé la porte à clé ?" qui arrive souvent quand on s'est préparé chez soi de façon machinale et automatique, et que bien après être sorti de chez soi, on n'a plus aucun souvenir des actions que l'on a faites.
Mais cela veut également dire que lorsque l'on active son moi expérientiel, on éteint son moi narratif ! Et c'est là que ça devient encore plus fou : en d'autres termes, quand on se sent pris en otage par ses pensées, en situation d'insomnie par exemple, être capable de focaliser son attention sur le présent et sur ses sens permet de se libérer de ces pensées. N'est-ce pas là une découverte magistrale ?
Par ailleurs, le soi expérientiel nous permet d'ancrer notre attention sur le réel, que ce soient nos actions (comme fermer la porte à clé), comme les personnes avec lesquelles on intéragit. Or l'attention que l'on porte à autrui est souvent perçue comme de la "présence", la composante fondamentale du charisme.



Pour récapituler, ré-apprendre puis s'entraîner à faire l'expérience du réel via son moi expérientiel a de nombreux avantages :
- aider notre cerveau à percevoir plus de données et des données plus précises du monde extérieur (ainsi que de notre monde intérieur), et à mieux faire la différence entre le réel et l'interprétation que notre "moi narratif" en fait;
- améliorer notre prise de décision en nous donnant accès à davantage d'information (et des informations plus précises) et en diminuant nos biais cognitifs;
- aider notre cerveau à mieux réguler nos émotions ainsi que notre bio-chimie;
- diminuer l'impact des émotions négatives sur notre organisme;
- ne plus être à la merci du flot de ses pensées, d'avoir une méthode pour s'en déconnecter;
- d'augmenter son attention et d'être plus présent, qualité essentielle au charisme.


Wow je réalise que c'est un article très long.
Pourtant je n'ai même pas abordé la question suivante : comment faire pour justement entraîner son esprit à voir le monde au travers du soi expérientiel, moins dans l'interprétation et plus dans l'observation ? J'y ai déjà fait allusion en parlant de méditation et de pleine conscience et vous propose quelques exercices pratiques ici.

En attendant n'hésitez pas à me faire part de vos commentaires. Cet article vous a-t-il intéressé·e ? Y avez-vous trouvé des réponses à des questions que vous vous posiez ?

lundi 12 novembre 2018

c'est un cheminement

Ce qui me lisent doivent bien se rendre compte que je n'écris pas de la même façon que lors de mon précédent périple il y a de cela presque 10 ans.
Lorsque je travaillais sur le terrain, en Colombie, tenir ce blog permettait de mettre au courant mes proches de mon quotidien. Il s'agissait surtout de narrer ce qui se passait dans ma vie. J'avais peu d'amis francophones sur place, et je ne m'exprimais pas suffisamment bien en espagnol pour être en mesure de partager des opinions et des sentiments avec mes amis "réels" (par opposition à "virtuels").
Avec le décalage horaire, quand je rentrais chez moi le soir il y avait peu de personnes encore réveillées avec qui je pouvais avoir une conversation en français.
Par conséquent, mon blog représentait tous mes proches francophones, au loin, avec qui j'aurais aimé parler.
Quand j'y repense c'est un peu triste, mais je suis ravie aujourd'hui d'avoir eu ce vecteur d'expression ! Je parlais de ma vie sur le terrain, de la découverte d'une nouvelle culture et de mes péripéties au quotidien.

Aujourd'hui la situation en Inde est différente. Je ne travaille plus sur le terrain, et je doute qu'un boulot devant un ordi intéresse beaucoup de gens (quoi que travailler avec des Indiens offre de nombreuses opportunités de découvrir la culture locale !). Je ne ressens pas de solitude d'expression. Je suis en bonne compagnie, le décalage horaire est en ma faveur et l'anglais est la langue courante.

Alors pourquoi avoir repris ce blog ? Qu'ai-je envie de partager sur cette plateforme ?


Depuis quelques années, je m'intéresse beaucoup à tout ce qui a trait au bien être. Que ce soit par le biais de l'alimentation, ou d'une meilleure compréhension de soi ou du fonctionnement du cerveau humain, et bien entendu du bien-être au bureau également, où nous passons le plus clair de nos journées.
Je lis de nombreux blogs, articles et livres à ce sujet et bien que je voie cela comme un voyage plutôt qu'une destination, je pense avoir déjà cheminé suffisamment pour pouvoir partager quelques conseils qui ont marché pour moi ou bien mes réflexions.
Un autre sujet qui me tient particulièrement à coeur est l'inclusion des minorités dans notre société en général, et en particulier des femmes dans le monde professionnel. C'est un vaste sujet qui a occupé mon esprit et mes activités de nombreuses heures durant. Je m'investis à titre bénévole dans une association qui valorise et développe les femmes (et les hommes aussi !) au sein de mon entreprise et cette mission me tient particulièrement à coeur. Pour le moment je me suis censurée et n'ai jamais vraiment abordé ce sujet ici. Mais j'envisage de commencer bientôt, je cherche juste le bon angle d'attaque ;)

J'espère que cette affirmation de mes intentions vous parlera et vous encouragera à continuer de me lire. Si vous avez des questions ou des suggestions de sujets qui vous intéressent tout particulièrement, n'hésitez pas à m'en faire part dans la section des commentaires, souvent désespérément vide !

mardi 30 octobre 2018

Portrait de femme

Aujourd'hui je voudrais vous parler de Paratha.
Autant vous dire tout de suite que ce n'est pas son vrai nom. Je continue dans ma longue tradition des surnoms qui se mangent.


Paratha travaille à la maison. Elle est femme de ménage. Et cuisinière. Et intendante. Et tellement plus encore !

Paratha connaît l'appartement mieux que nous. Elle travaillait pour les locataires précédents, et probablement ceux d'avant également. Elle travaille également pour nos voisins d'en face, ce qui lui permet d'optimiser sa gestion des tâches ménagères à tel point qu'elle pourrait ferait pâlir Taylor et son organisation scientifique du travail.

Elle arrive entre 7 et 8 heures du matin et commence par lancer les machines (linge et vaisselle), puis elle cuisine les repas. Pendant ce temps elle nettoie les chambres, consciencieusement. Elle réceptionne les courses que ses sous-traitants lui livrent à domicile. Elle a son propre réseau et gère sa petite entreprise. Une fois le repas prêt elle le laisse refroidir et nettoie la cuisine. Elle vide la vaisselle propre et le linge qu'elle renverra avec la personne qui passera livrer les habits repassés. Vers 13 heures, son travail pour la journée est terminé. Pour les deux appartements.
Planning, division des tâches, travail en temps masqué. Une vraie fée !


Paratha n'a pas de temps à perdre. Elle ne joue pas la montre, elle est pressée. Ses deux filles l'attendent à la maison, son linge, son repas aussi. Pas son mari. Elle n'a pas été consultée quand il l'a épousée. Ni quand il a divorcé. Elle me raconte comme une blague qu'il s'était lassé de ses plats végétariens à base de légumineuse (ses délicieux dals). Elle n'avait pas les moyens de cuisiner de la viande. Il est allé voir ailleurs et en a épousé une autre, qui cuisine du poulet. Jusqu'à ce qu'il se lasse du poulet, me dit-elle un sourire taquin en coin des lèvres, et qu'il ait envie de poisson.

Il n'a pas l'air de trop lui manquer.
Elle m'explique que les hommes dans sa communauté sont tous comme lui. Elle compare avec les couples chez qui elle a travaillé au fil des ans, essentiellement non Indiens. Elle me parle du couple du 3e étage, une femme Indienne et un homme Néerlandais. Il l'emmène en voyage pour les vacances, et l'aide à la cuisine. Ils font tout ensemble. Elle semble approuver.

Elle encourage ses filles à étudier, pour partir à l'étranger, et si possible trouver quelqu'un de bien. Ses filles, c'est son combat. Elles ont 17 et 20 ans. L'aînée est très responsable, elle étudie à l'Université et apprend l'allemand en plus des ses cours d'économie et de management. Pour mettre toutes les chances de son côté.
La cadette est plus frivole me raconte Paratha. Elle a une page Instagram où elle publie des photos d'elle, ainsi que des vidéos de ses chansons et danses, en cachette de sa mère et de sa soeur. Ce sont les voisines du quartier qui ont ébruité ça. Paratha la réprimande. Mais au fond elle voudrait que sa fille s'épanouisse, et est impressionnée par le nombre de fans que sa fille a su attirer et fidéliser.


Il y aurait tant encore à raconter, mais la pudeur me freine. Paratha n'a pas une vie facile.


Mais Paratha va de l'avant et elle est le plus bel exemple que ses filles aient pu trouver.
Je suis reconnaissante de l'avoir rencontrée et qu'elle fasse partie de ma vie.

dimanche 21 octobre 2018

Mon petit cahier d'écriture

Je ne sais plus d'où m'est venue cette idée. Un faisceau de références je dirais : un ami qui avait évoqué le concept, un article dans un magazine, une bloggueuse que je lis.

Les journaux intimes, tout le monde connaît. Les blogs aussi.
Mais ce n'est pas ce dont il est question ici.

Je parle ici de s'écrire à soi. Ou pour soi. Écrire en partant du postulat que ce que l'on écrit ne sera jamais lu par personne d'autre. Écrire alors comme on penserait, sans contrainte des phrases, de l'orthographe, de la linéarité, du sens. Écrire comme ça nous vient et ce qui nous vient.

En mai j'ai commencé à faire cela. J'ai soigneusement choisi un de ces cahiers aux pages très lisses et un stylo qui glisse, pour rendre la tâche plus facile, pour ne pas me créér de prétexte de ne pas écrire dedans - il fallait que ce soit agréable, pas une corvée. C'est un cahier "comme ceux des lycéens dans les films" car j'étais en voyage aux États-Unis quand cette soudaine pulsion m'a prise. Le papier et la couverture me plaisent tant que maintenant je me demande comment je ferai une fois ce cahier terminé !

Écrire sur du papier fait partie de l'expérience. On se laisse porter par l'encre, on rature si on change d'avis, et on laisse libre cours à son imagination. On passe du texte aux listes voire au dessin, on peut ajouter des flêches, des notes de bas de page, mixer les langues, ce qu'on veut comme on veut. C'est le cahier de la liberté !

Pourquoi j'écris ?
Pour regarder au fond de moi, observer ce que j'y vois. Je m'attache davantage à écrire mes observations, mes sensations, qu'à les analyser ou les juger. C'est un peu le même principe que certains exercices de méditation en pleine conscience comme par exemple - fermer les yeux et sentir le contact de son corps sur le sol ou la chaise, et ensuite scanner son corps de l'intérieur et percevoir les petits malaises physiques, sans chercher à les changer, juste pour en prendre conscience.
Je fais pareil, avec les malaises de mon âme. Sauf que je note tout, comme ça me vient.


Qu'est-ce que j'écris ?
Parfois l'inspiration vient d'elle-même. Parfois je joue avec de petits exercices que je m'invente. Inventorier toutes les sources de honte aussi loin que je m'en souvienne, sans les analyser ni les juger. Ou bien réfléchir à ce qui, enfant, me caractérisait ou me faisait rêver, pour essayer de toucher du doigt mon authenticité, ma marque de fabrique, que l'on perd parfois en chemin.
Les premières lignes du cahier ont été pénibles, parce que j'avais perdu l'habitude d'écrire en général et aussi parce que je n'avais jamais écrit pour moi uniquement. Même, petite, quand j'écrivais un journal intime, je me plaisais à croire que cet ouvrage finirait sans doute par être publié (!) et que je devais à mes futurs lecteurs d'être organisée pour les aider à suivre le fil de mes pensées.


À quoi ça me sert ?
Dans un premier temps, à prendre davantange conscience de la personne qui me regarde dans un miroir. Ça m'aide à apprendre à la connaître comme une personne extérieure. On est souvent plus indulgent avec les personnes extérieures que l'on ne l'est avec soi-même. Alors ça m'aide à faire la paix avec elle, et à poser un regard plus bienveillant sur elle, mieux l'apprécier et même à trouver (certains de) ses défauts touchants plutôt que culpabilisants.
Dans un deuxième temps, de même que la méditation, ça entraîne mon cerveau à être plus attentif en général, et plus vigilant vis-à-vis de ce qui ne va pas, en particulier. Le cerveau a une capacité à s'auto-réguler de manière subconsciente que l'on ignore bien trop souvent (lapallissade, bonjour !). Mais pour que cette auto-régulation soit possible, il faut que le cerveau soit conscient des problèmes à réguler. L'exercice d'écriture améliore cette faculté à prendre conscience de ce qui ne va pas.
Je trouve cela génial, de me dire que je n'ai pas besoin de réfléchir consciemment à des solutions, qu'il me suffit en fait de mettre le doigt sur un problème, d'être capable de le verbaliser et de le conceptualiser, pour que mon cerveau puisse faire le reste "en veille", sans mobiliser toutes mes facultés cognitives.
Vous en avez certainement déjà fait l'expérience vous-mêmes. Moi je me souviens de problèmes de maths ou de programmation auxquels je pouvais passer la journée à réfléchir sans trouver de solution, puis il suffisait que je les mette de côté et que j'en fasse abstraction (en me concentrant sur autre chose) pour me réveiller au milieu de la nuit en mode "Eureka" ! C'est un sentiment que vous avez peut-être aussi expérimenté si vous travaillez avec une équipe : il suffit souvent d'aider les membres de son équipe à verbaliser un problème pour qu'ils en trouvent eux-mêmes la solution.
Là, c'est pareil !
De nombreuses résolutions de ces derniers mois sont nées en partie de cette pratique. C'est par exemple suite à cet exercice que je me suis remise à blogger.

Parfois des semaines peuvent s'écouler sans que je ne ressente le besoin ou l'envie d'écrire quoi que ce soit. Puis par accoups je peux passer des heures plongée dans mon cahier et en perdre la notion du temps, comme un spéléologue qui explorerait une nouvelle grotte.
J'en sors toujours plus légère et comme soulagée.


Et vous ? Vous connaissez ? Vous pratiquez ? Avez-vous d'autres pratiques aux vertus similaires ?

dimanche 7 octobre 2018

L'arabe du présent

Je suis Arabe.

Aussi loin que je me souvienne, "arabe" a été un terme à connotation négative. Dans les médias, mais pas que. Dans l'inconscient collectif aussi. Et dans le mien en particulier...


Dans l'inconscient collectif, quand on pense au mot "arabe", on pense aussi, dans le désordre, à travail mal fait, à voleur, au bruit et aux odeurs, à tous ces mots (maux ?) en -iste également : extrêmiste, terroriste, islamiste, aux barbus, aux barbares et à la violence.
Si cette image négative s'est installée dès les années 70, à la suite des tragiques événements des Jeux Olympiques de Munich, elle s'est empirée pour atteindre un premier pic après le 11 septembre, puis un deuxième pic avec la création de Daesh et depuis réussit encore à nous étonner en atteignant régulièrement de nouveaux pics déraisonnés, exactement comme la pollution dans les grandes villes. Jusque quand ?

À ce compte, pas étonnant que de nombreux Français "d'origine" (arabe) soient frustrés qu'on la leur demande, leur origine. Personne n'a envie qu'on lui colle une étiquette de terroriste sanguinaire à la peau, encore moins quand on condamne tout autant cette violence.

Fait à méditer : les arabes (et musulmans) sont les premières victimes du terrorisme dans le monde.

Mais je ne suis pas là pour me lamenter sur mon sort. À vrai dire, étant une fille, je m'en sors bien mieux que mes frères arabes, dont le prénom est souvent porté comme une croix - Mohamed, Ali, Abdelkarim et j'en passe. Je n'ai pas jamais eu non plus à souffrir de contrôle de papier "aléatoire" dans la rue ou à l'aéroport.

Bref, là n'est pas l'objet de l'article.

Au contraire, il s'agit plutôt de réagir avec délectation et espoir à un mouvement que je vois se développer dans le monde... arabe !
De plus en plus de jeunes revendiquent désormais leur "arabitude".

Cela passe par l'art (stand Tunisie à la biennale de Venise), par les médias (Mille), par l'art, par la BD (comme par exemple le fantastique Arabe du Futur, dont le 4e volume vient de sortir), par la mode (la marque Lyoum par exemple qui marie artistes et cuisine tunisienne et qui a remis la calligraphie arabe au goût du jour), par des mannequins qui défilent pour les plus grands noms de la mode, par des sportifs de niveau international, par des personalités médiatisées qui renvoient une image différente (certes les soeurs Hadid renvoient une image de bombe, mais pas la même !).

Étant Tunisienne, je suis davantage au courant de ce qui se fait là-bas.
Certes la Tunisie, depuis sa Révolution du Jasmin, est clairement traversée par un renouveau, surtout artistique (je pense à Djerbahood par exemple) et ce petit pays que j'aime tant semble bouillonner et se chercher une nouvelle identité culturelle. Quoi de plus naturel dès lors, que de se tourner, entre autres, vers ses racines arabes ?



Cependant je suis convaincue que ce mouvement ne se limite pas à la Tunisie. Peut-être même que comme la Révolution, la Tunisie est un fer de lance du renouveau arabe.
De plus en plus d'Arabes réussissent à l'étranger, et plutôt que de se "fondre" dans leur culture d'accueil, ils mettent à l'avant leur côté arabe, leur différence culturelle, sereinement, avec amour et fierté. Ils vont plus loin et créent un réseau, et aident la génération future à y arriver également, sans oublier qu'ils contribuent à changer l'image du monde arabe en proposant une alternative bien plus attractive.

Et petit à petit ce que j'observe, de loin, c'est que l'image "tradi" voire violente du monde arabe est bousculée par une image "trendy" et artistique.

Je suis Arabe, et j'en suis fière !

dimanche 30 septembre 2018

Langage de signe


Il y a quelques années de cela, quand j'étais de l'autre côté de la planète, je vous avais fait découvrir des signes qui m'avaient surprise dans la culture locale.

Aujourd'hui je voulais partager un signe typique ici, qui mène à des situations cocasses en Inde.

Si jamais vous avez rencontré des Indiens (surtout du Sud je crois), une chose que vous avez peut-être remarquée, et qui vous a peut-être induit en erreur ou rendu fou, c'est le dodelinement de tête de droite à gauche plusieurs fois, comme suit :


Ce mouvement est inédit, et n'a pas d'équivalent en occident (que je sache).
Il se rapproche d'un mouvement de négation, mais s'exécute dans la direction de la tête et non perpendiculairement au cou. Il ressemble un peu aussi au signe qu'un occidental pourrait faire s'il était dubitatif ou mitigé.

Alors là où les choses se compliquent, c'est que la signification de ce signe pour les Indiens est à l'opposé ! En effet ce dodelinement improbable marque en fait l'assentiment, d'ailleurs souvent la personne sourie en exécutant ce geste. Je dirais que ce qui s'en rapproche le plus c'est un "einh-hein" que les occidentaux disent pour marquer l'approbation dans un dialogue, alors qu'ils écoutent quelqu'un parler. Ça veut dire "oui, continue, je te suis".

Le truc c'est que ce signe je l'ai découvert avant d'arriver en Inde, car il y a une grande communauté indienne au Royaume-Uni. Quand j'étais au Royaume-Uni, ce signe me rendait folle ! C'est oui ou c'est non ? Décide-toi !
Depuis, je m'y suis habituée, c'est d'ailleurs sûrement pour ça que j'avais oublié d'en parler ici. Pire, je me surprends même de temps en temps à le reproduire moi-même... je suis damnée !

mercredi 19 septembre 2018

le Père

Par où commencer ?

Petite, j'ai grandi avec une peur au ventre. Celle de te perdre. Nous étions si jeunes et tu étais déjà si malade.
Alors que la plus grande crainte de mes camarades, que j'enviais, était d'avoir une mauvaise note au contrôle de maths, la mienne était que tu étouffes en avalant de travers, ou que tu fasses un double pneumothorax des suites de ton emphysème- oui je connaissais le sens de ces mots. J'avais 13 ans. L'âge auquel tu as commencé à fumer. Quelle idée ?
Je t'en ai tellement voulu. Des années auparavant nous avions déjà mis en place toutes sortes de manigances pour te faire arrêter : jeter ton paquet, percer toutes tes cigarettes, pleurer, faire du chantage. Tu as fini par céder. Et heureusement.
J'ai souvent prié pour que tu sois épargné "jusqu'à ce que nous soyons tous indépendants, une fois passée la trentaine".

Et les années ont passé. La médecine a progressé. Tu t'es fait opérer. Plusieurs fois. Ta capacité respiratoire a augmenté. Mes camarades ou leurs proches ont été frappés, ceux-là mêmes que j'enviais. Toi tu t'es mis à la marche à pieds. Ta santé s'améliorait. Et je grandissais. Et j'oubliais. J'en étais arrivée à me convaincre que tu avais été épargné. Que la cigarette avait perdu, que tu lui avais survécu. Que tu vivrais longtemps, rencontrerais mes enfants, et t'éteindrais paisiblement. Tu étais là lorsque je suis partie en France. Là lorsque je suis partie en Colombie. Toujours là à mon arrivée au Royaume-Uni. Tu étais là quand ma soeur s'est mariée. Là pour son premier, puis son deuxième bébé. Là quand l'Inde s'est profilée. Là pour mon frère quand il s'est marié.

Et puis tout a été chamboulé. Le destin nous a rattrapés et le sort s'est précipité. Cauchemard ou réalité?
En l'espace de trois mois, tu es tombé malade, le verdict s'est profilé et la mort t'a emporté, en ce jour sacré.

Le deux mars mille neuf cent quatre-vingt cinq, je suis née - ce jour-là te doutais-tu que trente-trois ans plus tard, au jour près, tu t'éteindrais ?


Onze jours après ton départ, je m'envolais.

dimanche 16 septembre 2018

Mes sources

J'ai la chance de travailler avec des gens formidables ! La plupart de mes collègues sont Indiens, et viennent des quatre coins du pays.
Chaque jour, le déjeuner est une opportunité pour moi d'en apprendre un peu plus sur l'Inde, les us et coutumes et la culture du pays.

Ce n'est pas la cantine du bureau, mais ça y ressemble beaucoup !

Au début je n'osais pas poser trop de questions. J'avais peur de mettre les pieds dans le plat ou de faire un faux pas. Je me contentais de retenir tout ce que j'entendais sans rien remettre en question.

On a commencé avec des thèmes classiques : la météo, le climat, les saisons, la nourriture et les plats locaux. Puis petit à petit on a dévié vers le cricket, l'histoire de l'Inde, la mythologie, la religion.

Il doit y avoir un tas de raisons qui l'expliquent, mais tous les récits que me font mes collègues sont encore très confus dans ma tête. Parmi les raisons qui expliquent peut-être cela, il y a certainement le fait que je ne comprends pas toujours ce que me disent mes collègues. Chacun y va de sa petite histoire, et ils se contredisent l'un l'autre pendant leurs récits mutuels, ce qui ne facilite pas les choses ! Et puis j'ai une compréhension encore très approximative des expressions et tournures linguistiques locales.

Pour vous donner un exemple, je ne sais toujours pas si le Roi Ram a réellement exité ou bien si c'est une légende. Ce serait un des Dieux vénéré. Chaque région semble avoir ses propres Dieux. Ça non plus je ne le comprends pas encore très bien. Est-ce compatible avec l'Hindouïsme ?

Nos conversations dérivent souvent à partir d'une question que je pose en début de déjeuner, comme pour lancer un thème. L'autre jour, par curiosité et un peu par provocation, j'ai demandé quelle était l'opinion publique vis-à-vis de la dépénalisation de l'homosexualité. Eh bien je n'ai pas encore de réponse à cette question, mais cette conversation a débouché sur un thème que je pensais encore plus tabou : une collègue a répondu à ma question que c'était simple désormais et qu'on pouvait être avec quiconque, quel que soit son sexe, à condition que l'autre soit de la bonne caste !

J'ai juste eu le temps d'apprendre que mes collègues pouvaient reconnaître la caste de quelqu'un rien qu'au nom de famille et que beaucoup de communautés prenaient encore ça très au sérieux. L'Etat a mis en place beaucoup de mesures censées aider les castes défavorisées à rattraper leur retard, par le biais de quotas (aux concours d'entrée à l'université ou de la fonction publique par exemple), mais que cela est vécu comme une injustice pour beaucoup d'autres, qui considèrent que les quotas créent différents niveaux d'entrée. J'aurais adoré en discuter plus longuement, mais j'avais une réunion que je ne pouvais pas manquer. Mais je suis sur le coup !

vendredi 7 septembre 2018

L'ordinaire

Dans quelques jours, je fêterai six mois de vie en Inde.
Ces six premiers mois sont passés si vite.

Cet après-midi, sur le chemin de retour du travail, je me suis essayée à un exercice intéressant.
Ça faisait quelques jours que j'essayais de retrouver mes premières impression afin de pouvoir les partager dans l'ordre, vu que j'ai six mois de nouvelles en retard à rattraper et que malheureusement j'ai désormais dépassé le stade de l'émerveillement semi-permanent.
Je voulais retrouver le regard presque enfantin que je posais sur ce qui m'entourait, les premiers jours de mon arrivée.

Cet exercice, que j'ai trouvé très enrichissant, demande une grande attention, car il requiert de coordonner ses sens avec ses pensées.

Voici quelques uns des éléments qui me sont revenus à l'esprit au cours de ce trajet.

***

Avant d'arriver en Inde, je pensais que les saris étaient des tenues féminines réservées aux cérémonies. Cela vient du fait qu'en Tunisie c'est le genre de tissus très prisés pour confectionner des tenues cérémoniales féminines. Et sans doute aussi du fait que mes amies Indiennes du Royaume-Uni se vêtaient de la sorte exclusivement lors de festivités.
En fait désormais je dirais que le sari est plus une façon de porter une étoffe, que l'étoffe elle-même, et selon le tissus, sa complexité et sa noblesse, la tenue sera plus ou moins "habillée". J'ai été très surprise de voir des dames balayer les rues vêtues en ce que je qualifierais de superbes saris festifs, aux couleurs chatoyantes.

En continuant dans le registre vestimentaire, j'avais été frappée de voir autant de femmes à moto qui semblaient porter une burqa. En fait non pas une burqa, mais un grand foulard, souvent haut en couleurs, qui cachait tout le visage sauf les yeux, alors même qu'il était parfois accompagné de tenues à manches courtes. Je me suis demandé si certaines femmes Indiennes avaient succombé à l'effet de mode burquesque qui a frappé une grande partie du monde Arabo-musulman, tout en l'adaptant à leurs traditions locales.
La réponse est venue des mois plus tard. Je pose souvent tout plein de questions aux membres de mon équipe, et ils me guident à travers les méandres de la culture Indienne. Je serais perdue sans eux ! J'ai mis du temps à oser aborder le sujet. Quand je leur ai parlé de cette tendance particulière aux motocycliste, ils ont bien ri.
Il s'est révélé que ces femmes ne portaient pas un voile par souci de "modestie" comme diraient les soeurs de cité, mais simplement par souci de coquetterie. En effet c'est pour protéger leur visage contre la pollution qu'elles le recouvrent, et ce quelle que soit leur religion.



Et elles ont bien raison, car de la pollution, il y en a. À moto, il y en a encore davantage. D'ailleurs des motos aussi il y en a un paquet, et sont eux-même responsables d'une grande partie de cette pollution.
Des voitures aussi, il y en a beaucoup. Et le code de la route est ici une notion floue et très variable. Ce n'est peut-être pas si mal, car s'il était respecté, les temps de trajets (déjà si disproportionnés par rappport aux distances - autour de 20km/heure, voire 10 aux heures de pointe qui sont plus nombreuses que les autres) seraient à coup sûr décuplés.
Comment expliquer les bases du code Indien de la route ?
En comparant les véhicules à de la matière, on pourrait dire que cette matière serait à l'état solide en Occident, alors qu'elle est à l'état liquide ici en Inde. En effet en Europe par exemple, la conduite est très codifiée et rigide. De ce fait les véhicules avancent en ligne, s'arrêtent, puis repartent, de manière très robotisée et déterministe.
En revanche ici, on dirait que les conducteurs optimisent l'espace en faisant leur possible pour occuper toute la surface de route disponible, à tout instant. La priorité est à celui qui avance en premier, ou qui klaxonne le plus fort. Il en résulte un spectacle plus vivant, comme un torrent qui chercherait à atteindre la mer par le chemin le plus court.

Par voie de corollaire, à la pollution de l'air s'ajoute aussi la pollution sonore. Moteurs de voitures, de motos, de rickshaws et klaxons de tous forment une symphonie (ou cacophonie, selon les sensibilités de chacun) qui rend tout trajet piéton plus animé.
Et je ne parle même pas du casse-tête qui consiste à réussir à se loger suffisamment loin des artères principales tout en restant suffisamment près de son travail pour minimiser le temps de navette quotidien. C'est un problème très compliqué à résoudre, mais ce n'est pas l'objet de ce texte.

samedi 1 septembre 2018

Premières impressions

Pune.
C'est le nom de la ville où je vis désormais.


Pune se situe dans le même état que Mumbai, et se trouve à environs 300km de la plus grande ville. À côté, Pune est une petite bourgade d'à peine trois millions d'habitants... C'est la neuvième ville du pays en terme de population.

Je n'avais jamais mis les pieds en Inde et ne savais donc pas précisément à quoi m'attendre. J'avais une petite idée, influencée par mon expérience du Sri Lanka, où j'avais passé deux semaines l'an dernier pour des vacances inoubliables.

Les commentaires de mes amis qui avaient visité l'Inde m'interpelaient. Il y était question de bruit et d'odeur, d'extrême pauvreté et de maladie.
Avec un peu plus de recul je commence à réaliser à quel point l'Inde est diverse - unity in diversity est son slogan. N'oublions pas qu'il s'agit d'un pays six fois plus grand que la France.

Je réalise aussi que notre vécu et notre expérience façonnent nos jugements. Principalement nos premières expériences.

La première chose que je me souviens avoir pensé après avoir atterri à Pune à 4h du matin, en sortant de l'avion, c'est que je ne sentais pas d'odeur désagréable. Mon Inde ne sentirait pas mauvais.

La deuxième observation, juste après avoir récupéré les nombreux bagages, a été le constat qu'il n'y avait que des Indiens tout autour. C'était inhabituel et à vrai dire plutôt inconfortable les 15 premières minutes, après mon cerveau s'est ajusté au paysage. Mon Inde serait peuplée d'Indiens.

Puis en sortant de l'aéroport (où les locaux accueillaient leurs voyageurs, deuxième vague de nouveux faciès Indiens, deuxième bouffée de panique momentanée), la navette de l'hôtel n'était pas là.
Notre agence de déménagement avait tout réservé : l'hôtel, la navette, et l'emploi du temps des trois jours suivants. Mais la navette n'était pas là. À 4h du matin, après un périple de plus de 12 heures.
Forte de mon vécu en Tunisie, j'ai gardé mon calme mais j'ai pensé que mon Inde ne serait pas fiable. Je me suis ravisée depuis, et pense désormais que mon Inde a une façon différente de gérer la fiabilité, avec ses points forts et ses limites. Mon Inde est fiable autrement.

Après quelques coups de fil anxieux et une dizaine de minutes d'attente, la navette est arrivée. Pendant cette attente, je me suis sentie bien et en sécurité. D'autres personnes étaient là, assises ou debout, à attendre un être cher sans doute. Un restaurant de rue servait des plats typiques juste à la sortie de l'aéroport, et passait de la musique à plein volume, au milieu de la nuit. Mon Inde serait festive.

La voiture de navette n'était pas du tout équipée pour transporter autant de valises. Mais le chauffeur s'est efforcé de tout caler dedans tant bien que mal en refusant la moindre aide. Mon Inde serait très serviable.



Réfléchir à ces premiers instants me permet de réaliser l'influence des biais cognitifs dans la construction de notre pensée et de nos jugements.
L'ancrage mental, c'est-à-dire l'influence de nos premières impressions. Le biais de confirmation, qui signifie privilégier les informations qui confirment nos a prioris. Le biais de représentativité, ou l'on extrapole l'expérience que l'on fait de quelques individus à toute une population.

Comme mes amis, je construis moi aussi mon jugement grâce à ces biais, et j'ai eu la chance de commencer mon expérience Indienne à Pune !

lundi 27 août 2018

Fratrie

Aujourd'hui marque le dernier jour de la visite de ma mère, ma sœur et mes deux neveux.

Avoir un frère et une sœur est l'un des plus beaux cadeaux que mes parents m'aient offert.

Certes j'ai du partager une chambre avec l'un, puis l'autre, de 0 a 16 ans.
Certes j'ai rarement eu des vêtements neufs étant plus jeune, à la place j'ai "hérité" des jeans de mon frère, des jupes de ma sœur et des pulls de mon frère, eux mêmes hérités de ma sœur.
Certes se nourrir, surtout de bonnes choses, était un combat quotidien et j'ai dû développer des stratégies de survie comme celle de se servir de l’intégralité de ma ration de crevettes à l'avance pour pouvoir les manger à mon aise, ou bien exiger que chacun d'entre nous reçoive une tablette de chocolat plutôt que de les ranger ensemble et les manger au fur et à mesure, tout cela pour ne pas me retrouver bredouille, la faute à la croissance de mon frère, sa faim permanente et ses fringales inopinées. (bien sûr que j'exagère)

En échange, j'ai eu des compagnons de jeux, des amis, des mentors, des conseillers.

Ensemble, nous avons partagé de parties de Mastermind, de bataille navale, d'Hotel (le cousin moins connu du Monopoly), de domino, de Rami, de chkoba (des jeux de cartes tunisiens), de Fort boyard revisité, et j'en passe.

Ensemble nous avons partagé une famille unique : certains cousins que l'on considérait comme une fratrie agrandie, certains oncles et tantes excentriques voire franchement dérangés (au sens propre), une généalogie de chats et nos chèrs parents adorés.

Chamailleries, blagues, scènes de ménage, sanglots, embrassades. Ensemble nous avons tant partagé, des fous rires aux deuils. Nous avons traversé des épreuves qu'aucun n'aurait pu surmonter seul, ainsi que des bonheurs d'autant plus réjouissants que nous les vivions ensemble.



Que ma sœur vienne me voir, surtout avec ses deux jeunes enfants (dont le plus jeune qui n'a pas même 2 ans !) est un geste qui me touche beaucoup. Pouvoir partager un peu de mon quotidien en Inde, pouvoir passer deux semaines comme avant, même si tant de choses ont changé. Avoir le bonheur de vivre un peu de leur quotidien, est un luxe que j'espère pouvoir revivre.

Leur avion décollera dans quelques heures.



À qui le tour ? :)

samedi 25 août 2018

L'annonce

- Ah oui, quand même... Et tu vas accepter ?

C'est la réponse que j'ai souvent entendue en juillet de l'année dernière, à l'annonce de ma potentielle prochaine "destination".
Super, bonjour l'enthousiasme, si ça se concrétise, je sens que je vais avoir peu de visiteurs...

Depuis ça s'est concrétisé, en mars 2018.

Ma soeur qui vit en France n'y a pas coupé non plus quand elle est allée se faire vacciner en prévision de venir me rendre visite avec ses deux jeunes enfants. Ne jamais boire d'eau du robinet, ne jamais se promener sans gel hydro alcoolique, bannir les légumes non cuits, les fruits, les restaurants, et la liste est infinie. Après toutes ses recommandations, le médecin a voulu la rassurer : "ne vous en faites pas, la majorité des rapatriements en France sont en fait dûs à des accidents de la route."
Et avec ceci, ce sera tout ?

Ici, plusieurs "femmes d'expats" francophones se partagent des tuyaux et s'échangent des renseignements sur un groupe Whatsapp dont je fais partie.
- Est-il possible de se faire vacciner contre la tuberculose sur place, pour mes enfants ?
- Nous avons aussi fait le vaccin contre la rage
- Oui, et l'encéphalite japonaise, la typhoïde, l'hépatite A

Pour tout dire, moi quand j'ai lu ça j'ai cru que c'était ironique...


L'Inde a une sale image, c'est le cas de le dire. Davantage en France j'ai l'impression. On lui associe insalubrité, pauvreté, maladie, bidonvilles, intouchables.

Au Royaume-Uni, où je vivais jusque là, il y a beaucoup d'immigrés venus d'Inde, la plupart éduqués. J'ai de nombreux amis Indiens et j'avais déjà commencé à toucher du bout du doigt un peu de la culture indienne. Alors dans ma tête, l'Inde étaient plutôt synonyme de couleurs, soleil, musique, yoga, folklore, festivals, cuisine, diversité, tolérance.

Subir Basak/Getty Images

Imaginez mon ressenti quand on a évoqué la possibilité pour moi d'aller en Inde, après six ans passés au Royaume-Uni et deux ans après le Brexit. Une opportunité à ne pas rater. Une bouffée d'air frais. Que dis-je ? le paradis sur terre !!

Pour moi c'était un oui inconditionnel, mille fois oui, maintenant, tout de suite !
La joie a laissé place à l'impatience : je ne voulais plus passer d'hiver anglais, j'avais faim de soleil et de currys.


Neufs mois plus tard est né un beau voyage...

mercredi 22 août 2018

Et tout recommencer

Sept ans d'absence.

Il est dans une vie des semaines où il se passe plus d'événements qu'en plusieurs années. J'en ai fait l'expérience récemment. Autant de raisons de reprendre l'écriture et ce blog.

Je ne vis plus au Royaume-Uni. Nous en reparlerons bien évidemment.

Nouveau continent, nouveau pays, nouveau poste, même entreprise - cette familiarité a du charme, dans le tourbillon de cette nouvelle vie.

http://thebusymamas.ie/the-new-start/


Écrire par acoups, chercher ses mots, taper, relire puis effacer. Observer, noter, narrer.
Autant d'obstacles à surmonter avant de retrouver une écriture fluide et agréable.

Ne sautons pas d'étape.
Un pas à la fois, nous avons tellement de choses à nous dire.


Heureuse de vous retrouver - À très vite.

N.B. : @Jobi, merci pour ton commentaire préoccupé du 19 Novembre 2012, et quelle perspicacité ! En sept ans j'ai eu le temps de maîtriser la recette du couscous, et le niqab aura au moins eu l'avantage de m'empêcher de manger trop de loukoums. Smiley bisou baveux.