"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

samedi 29 janvier 2011

Dans liberté de penser il n'y a pas que liberté

Il n'a jamais été caché que je suis Tunisienne, et que je passe beaucoup de temps à lire des articles sur le net. Plus que jamais en ce mois de janvier se sont multipliés sur la toile des témoignages de mes compatriotes sur les événements exceptionnels qui se déroulent en live et que je ne peux suivre que par ordinateur interposé.

Je ne sais pas si vous connaissez le genre de dictature qui a été imposée en Tunisie ces vingt dernières années. Je pense que les média ont dû insister sur la corruption, la mafia, les trafics divers. Alors je vais vous parler des moyens de fond pour garantir une population béni-oui-oui.

Un jour un ami marocain m'a avoué sourire aux lèvres que la première fois qu'il avait vu la chaîne de télé tunisienne il avait été épaté. Bien sûr moi j'étais sceptique (cf. supra). Il a alors développé : "ben la chaîne s'appelle Tunis 7 alors moi j'ai cru que la Tunisie avait non pas un ou deux mais SEPT canaux télévisés, forcément j'étais impressionné".
Alors j'ai ri. Jaune, il va sans dire.

Tunis 7 a été très longtemps l'unique chaîne nationale tunisienne (je passe sous silence le pourquoi du nom de la chaîne, au mieux tout le monde s'en fout). Quels programmes y passe-t-on ? Dessins animés la matinée, feuilletons étrangers le midi après les infos nationales, jeux en fin d'après-midi et films ou feuilletons après le JT du soir. Une chaîne banale. Sauf que c'est la seule. Il n'y a accès aucune autre source d'informations télévisée si l'on n'a pas les moyens de se payer la télé par satellite et que l'on ne parle pas italien (France 2 ayant été coupé des ondes dans les années 90). A la radio, c'est pareil, sauf qu'en plus il y a le Douktour Hakim, ce présentateur qui chaque jour vient faire l'éloge pour la santé d'un des produits locaux tunisiens qui peine sur le marché de l'exportation, du type : Mangez des sardines ! Et vous savez ce qu'elle en pense ma grand-mère ? "Mange des sardines, ils l'ont dit à la radio".
Tout ou presque est sujet à ce genre de messages à peine subliminaux. Le tourisme ne décolle pas cette année ? qu'à cela ne tienne, voici qu'éclôt un nouveau spot promouvant le tourisme interne plein d'enfants tout sourires et de parents pub dentifrice. Si une production locale risque la pénurie, pas de panique, Douktour Hakim vous garantira à la radio que son abus est mauvais pour la santé, quand il ne vous parlera pas du nouveau germe infectieux trouvé dans certaines espèces... Et ma grand-mère dans tout ça ? Elle gobe tout, sauf les produits contaminés par Docteur le Sage (pour la VF).

Et puis il y a l'école. À l'école on apprend à compter, à lire, à savoir placer la France sur une carte. Mais non, définitivement non, à l'école tunisienne on n'apprend pas (encore) à penser. Aucune étude de documents historiques, aucun cheminement de l'esprit critique, aucun commentaire de texte au vrai sens du terme, et en philosophie la recette gagnante est de sortir un maximum de pensées de philosophes, mais gare à celui qui donne son avis, il sera gratifié d'une sale note et d'une remarque lui faisant part qu'il ferait mieux d'arrêter de jouer les philosophes et apprendre son cours à la place.
Ce n'est d'ailleurs pas un secret : il était monnaie courante de rencontrer au Lycée Français des enfants de ministres, voire la fille du président, qui nous a été offerte en pâture avec ses six gardes du corps à partir de 2002 si mes souvenirs sont bons. Bonjour la confiance en la qualité de l'enseignement national de la part du gouvernement lui-même...


Alors tout d'abord il faut féliciter tous ces autodidactes, qui ont appris à penser par eux-mêmes comme des grands. Mais loin s'en faut pour que tous mes compatriotes suivent la même voie.

En attendant, les témoignages sur Facebook et ailleurs fleurissent, et les gens les partagent, comme s'ils étaient parole d'Évangile (c'est une image. Ouais en fait pour ce que j'en pense ça compte aussi au sens propre). On a eu droit à tout, du bon, du constructif, de l'instructif, et du franchement médiocre voire de la propagande à peine dissimulée. Dans le désordre, on a eu droit aux médecins présents à la Kasbah, aux journalistes suivant les manifestations, aux manifestants se faisant taper par ce qu'ils pensent être des policiers, aux prétendus policiers qui fourrent des sachets de came dans des sacs de médicaments avant d'avertir les journalistes. Et puis il y a eu cette dame qui dit s'être fait attaquer lors d'une marche (la marche des femmes pour la citoyenneté et l’égalité) par ce qu'elle croit être un groupe religieux extrémiste (mené par un barbu) et s'être fait sauver par ce qu'elle croit être des policiers en civil.

Alors franchement j'en arrive à des pointes d'exaspération. On ne peut plus parler de témoignage quand on interprète la moitié des événements qu'on a vécu il y a deux heures. Si un gars barbu m'attaque, même s'il crie Allah Akbar au moment de l'assaut, rien ne prouve qu'il est islamiste, ni musulman d'ailleurs. De même, si c'est un gars en uniforme de policier sortant d'une voiture de police qui me tabasse, eh bien il n'est pas nécessairement policier ou même s'il l'est, n'est pas nécessairement mandaté pour m'attaquer. Vous imaginez la manipulation qu'on pourrait orchestrer si c'était si facile. Err wait a minute...


En vrai pour confirmer l'identité de quelqu'un ou son appartenance à un groupe, que ce soit un flic ou un islamiste, on attend que le groupe revendique le truc, ou bien on mène une enquête. Ce sont les règles de base. Ou sinon on dit des choses vagues dans le vide, on interprète, et on risque de propager des idées fausses qui profitent à des entités manipulatrices qui ont un intérêt évident ou caché dans l'histoire. Omar m'a tuer, cqfd.

jeudi 27 janvier 2011

scène de vie courante post-congés

Dimanche 14h37 :
treizième coup de téléphone du manager direct qui demande quand j'arrive à la base parce qu'il y a des choses à faire.

14h43 :
ouverture du PC, 23 minutes pour charger les 476 mails non lus, se plonger dans la lecture des mails super importants de
1. renouvellement de visa que sinon je serai une sans-papier bientôt et je risque sans doute de me faire insulter par certains lecteurs de ce blog
2. décidation (non ce mot m'existe pas, mais ça reste entre nous) de ma date de rendez-vous pour mon entrevue d'un jour de mi-programme qui aura lieu au Royaume Uni, même si j'ai encore beaucoup d'appréhension à l'idée de devoir me rendre jusque là-bas pour une journée en plein blizzard de février (avec différence thermique sans doute supérieur à mon nombre de printemps)

18h23 :
"je pense qu'on peut l'appeler un jour" (en anglais dans le texte)

Lundi 5h03 :
Mon téléphone sonne, le numéro du boulot, pas mon personnel, qui lui s'est tellement plu à Buenos Aires qu'il m'a lâchée le premier jour, c'est pas le portable du boulot qui se ferait la malle !
Cette mélodie je la connais par coeur, c'est celle qui va te chercher au plus profond de tes non rêves de sommeil exténué pour te dire qu'il est l'heure de retourner au puits, que si tu as cru que tu allais pouvoir te reposer plus tu étais bien naïf.
En fait fausse alerte : je dois "juste" me rendre à la base "genre direct" pour aider à préparer un job sorti en urgence.

10h24 :
Retour au lit, ce soir je suis de shift !

17h40 :
À la recherche du puits perdu.

8h35 :
Fin du shift, dodo !

8h45 :
Coup de fil, en fait non pas de dodo, rendez-vous à la case Base sans passer par la case dodo (mais en touchant une prime de job). Quelques bidules à terminer, je ne sens plus la fatigue.

10h13 :
Enfin chez soi. Douche, sieste de deux heures, et glandouille, et dodo encore et toujours.

N'oubliez pas d'ajouter à cela la conversation quotidienne sur Mais où est donc la Tunisie, pourquoi je ne suis pas noire si pourtant je suis Africaine et quelle est donc la musique que les gens de là-bas écoutent ! Et le climat qui est toujours aussi chaud et humide, tout comme le soleil qui n'en finit pas de se coucher à dix-huit heures.


Qui a dit que travailler sur le field n'était jamais monotone ?

jeudi 20 janvier 2011

Buenos Aires


La dernière étape de notre voyage nous a dirigées vers notre première escale : la capitale Buenos Aires.

Comment résumer cette ville ? Nous sommes ici depuis près d'une semaine, et j'ai toujours l'impression de n'en rien connaître.
En matière de tourisme, la ville n'est pas particulièrement dense en monuments (l'expression "Paris, ville musée" prend tout sons sens), et ce n'est d'ailleurs pas une ville touristique selon ses habitants, qui nous demandent régulièrement ce que nous faisons ici. C'est davantage une ville où l'on sent que l'on pourrait s'installer. Bien que très européanisée dans son architecture, son raffinement - on sent tout de suite l'influence italienne quand on entend parler les Argentins et quand on voit les menus des restaurant - et aussi dans l'aspect physique des Argentins, qui ressemblent plus à des Méditerranéens qu'à des Mapuches, la ville reste avant tout Sud Américaine, avec ses expressions idiomatiques à faire pâlir Isabelle de C. et à faire passer les Colombiens et les Espagnols pour de gros cochons (polysémie quand tu nous tiens), sa culture latino et la "buena onda" de ses habitants.

Les gens fument beaucoup, les voitures aussi, ce qui n'arrangent en rien l'état de pollution du pays, et qui change drastiquement de Bogotá. Le beau temps lui aussi contraste énormément avec la capitale colombienne. En fait ces deux villes n'ont rien à voir, elles seraient plutôt complémentaires. En Amérique du Sud (voire à échelle mondiale, je ne suis pas sûre), la Colombie est réputée pour ses jolies filles ; l'Argentine l'est pour ses beaux garçons. Les Argentines sont plutôt filiformes, blondes et claires de peau, tandis que les Colombiennes sont pulpeuses et brunes de cheveux et de peau. À la salsa, BsAs répond Tango, la danse. Au tango, la musique, Bta répond cumba. BsAs dit Gotan Project et Bta dit Quantic. Une effervescence en matière d'art, de rue, art graphique, design, musique, littérature. Sauf que, il y a un sauf : les Bogotanais sont les premiers à reconnaître que Buenos Aires (et l'Argentine) est Le lieu du livre en Amérique du Sud.

Alors voilà on a marché, on a pris pleins de bus, des métros, des taxis, on a acheté des choses en cuir et des habits : la mode à Buenos Aires a ce côté bohème qui rafraîchit beaucoup des tendances plus sophistiquées de Bogotá. Comme durant le reste de notre voyage, on a rencontré pleins de gens. On s'est payé le luxe temporel de passer une journée à Colonia en Uruguay, histoire de ne pas en décevoir certains : prendre la photo souvenir et ajouter un cachet au passeport - et en vrai c'est une ville qui rappelle l'ambiance farniente propre au Portugal, une parenthèse méditerranéenne en terre Sud Américaine.

On s'en va vendredi à l'aube, la tête pleine de souvenirs et de rêves futurs de revenir !

vendredi 14 janvier 2011

WOW!

Avez déjà vu un pan de glacier tomber ?
La glace commence par se fissurer, sans que l'on sache vraiment si la faille aura raison du bout de glace. Puis des morceaux s'effritent et tombent à l'eau dans un premier fracas. Puis s'ensuit un moment d'expectative, où, les yeux rivés sur le glacier, chacun se demande si le morceau de glace tenace finira par lâcher prise ou bien s'il se cramponnera à son promontoire. Et il finit par se désolidariser, et à chuter lentement, jusqu'à heurter l'eau dans un fracas digne d'une explosion. Il disparaît immédiatement, englouti par les flots, mais alors que l'on croit que c'est fini, il engendre une dernière onde, comme pour laisser une ultime trace de son existence. Son poids dans l'eau émet une vague qui se propage dans toutes les directions, soulevant les glaçons, agitant les bateaux et tentant dans un dernier effort d'ébranler le reste du glacier, pendant que la vague atteint le rivage et déjà disparaît. Le bout de glacier n'est alors plus qu'un glaçon, prisonnier dans un lac d'indifférence.

Ironie du sort, j'ai découvert avec des yeux éblouis à quoi cela ressemblait aujourd'hui et ai même pu capturer un de ces instants sublimes, comme vous pouvez le constater. J'ai eu à nouveau la confirmation que la nature nous domine et que nous ne pouvons rien face à Sa force et au destin.

Puis, pendant que je marchais sur des glaciers argentins, reliques des temps passés, mon pays était en train de changer de face et de mettre au placard ses propres démons, présents et passés.
Un petit pas pour mes pieds cramponnés, un énorme pas pour mes concitoyens inspirés.

Alors même si je me sens loin et que tous les gens que j'ai rencontrés ici ont dû endurer mes monologues et sont à présent des experts de la situation éco-socio-politique de Tunisie, je vous aime et suis de tout coeur avec vous. Tenez bon, le bout de glacier tenace est tombé, il ne reste plus à présent qu'à encaisser l'onde de choc.

Sinon après Ushuaia et la Patagonie, nous partons demain pour Buenos Aires !

mercredi 12 janvier 2011

J'me sens pas bien

Aujourd'hui ça va mal.
J'ai dormi pour ne pas y penser, en espérant que ça irait mieux.
Autour la vie continuait, comme si de rien n'était, comme si ça ne comptait pas. Le soleil continue de briller, le temps de s'écouler, mais ce n'est pas pareil, quelque chose est différent dans l'air ou dans ma tête, parce que ça va mal. Mais demain ça ira mieux.


Ce soir je me suis réveillée, toujours un peu enrhumée, après un an sans une maladie, mais je suis toujours un peu sonnée, presque au bout du monde, en Patagonie maintenant. Il est près de vingt heures et je vais bientôt sortir dîner et je penserai à vous, car j'ai beau être loin et en vacances, je pense à vous, toujours.

dimanche 9 janvier 2011

Le bout du monde

Pour y arriver, en partant de Barranca, il faut prendre une flopée d'avions (trois escales), même si on dirait que c'est la porte à côté, et puis aussi il faut perdre son téléphone, celui où on a consigné précieusement tous ses numéros de téléphone depuis 2003, celui qui est plus moche qu'un nokia première génération et marche à la mobicarte, mais a une valeur sentimentale inégalable, et peut appeler et être appelé de partout dans le monde, Cuba compris !! Bref il faut le perdre afin d'être sûr de se défaire de toutes ses possessions matérielles, et arriver libre de toute attache au bout du monde.
Puis il faut franchir la police des aliments de l'aéroport-chalet hypra stylé du bout du monde : on te fouille tes bagages à main, un peu comme à Bogota, sans chien mais avec des gants et au lieu de traquer la came, on traque si tu as pas des aliments frais ou des fruits et légumes. Bien sûr moi j'avais oublié que j'avais emporté la pomme du repas de l'avion Bogota - Buenos Aires dans mon sac, et me suis transformée en hors-la-loi diffuseuse de fièvre aphteuse et autres moscas des fruits. La pomme est toujours dans mon sac, j'ai peur de la sortir depuis. Ah oui le repas de l'avion au fait.
J'avais eu la bonne idée de demander un plat casher, histoire de ne pas me retrouver avec de la saucisse au jambon agrémentée de bacon. Y avait pleins de choix de menu sur Internet quand j'ai pris le billet d'avion : végétarien, casher, allergique au gluten, etc. et la version casher me garantissait, que je croyais, un repas équilibré avec son apport de fruits et légumes, viande et sucres lents.
Au lieu de ça j'ai eu mon apport en fruits. Cinq fruits en fait, ni plus, ni moins. Je me demande ce que j'aurais eu si j'avais demandé du végétarien, sachant qu'ils précisaient qu'ils ne pouvaient garantir un plat végétalien en revanche. Je ne saurai jamais, mais ce que je sais, c'est que je suis passée à côté d'une salade au poulet, de pâtes au fromage et d'une part de gâteau pour des tranches d'ananas, de mangue, d'orange deux prunes nain, et une pomme grammy-smith conservée pour consommer plus tard et pour que la mosca velue envahisse le bout du monde.

Finalement pour ne pas la voir/faire brûler, je vais tenter d'extroduire [ceci n'est pas une coquille] avec ma pomme, les maladies fruitières que j'ai introduites ici un jour, pour ne pas dire cet après-midi.


Ce n'est qu'à ce prix-là que l'on peut admirer le soleil de minuit (bon de 23h j'avoue - la photo a elle été prise à 19h), l'océan antarctique, le bout des Andes et du monde habité, au sein de la ville au nom que se partagent un déodorant et une émission de télé.

jeudi 6 janvier 2011

Año nuevo, vida nueva !

Avec tout ce raffut j'en ai oublié de vous raconter Noël et le Nouvel An à Barranca.
Pour rattraper mon retard, en le peu de temps que j'ai à ma disposition, je vais résumer.

Noël, crèche, lumières qui scintillent de partout jusque dans les containers des company-men des puits, dîner familial, aéroports blindés, chants religieux (novenas), cadeaux, soirée festive, balcon, chaleur, minuit, bonheur d'être en vie et tristesse de ne pas être en famille (moi je m'en fous un peu de ne pas passer Noël en famille, mais la tristesse c'est quand même communicatif), feux d'artifice et pétards, fête jusque tard.


Nouvel An, raisins, pétards, bruit, fête, pétards, amis, bruit, junk food, beaucoup beaucoup d'alcool, pétards et quelques feux d'artifice, orchestres locaux à partir de minuit dans rues festives et bondées, gens joyeux, pétards encore et toute la nuit (digne d'une fusillade), año nuevo vida nueva à la radio pour le reste de la semaine, lumières toujours scintillantes.


Bref les Colombiens ne faillissent pas à leur réputation de gens festifs et chaleureux. Les fêtes de fin d'année en Colombie, je valide ! (l'alcool et les pétards - il s'agit des pétards qui font beaucoup de bruit, pas de ceux qui se fument - moins !)

Pour commencer 2011 j'ai été envoyée sur mon premier job en solo. Dimanche au puits, car on ne change pas les bonnes habitudes de 2010 ! Autant vous dire qu'en un seul job, mon puits a subi plus de problèmes que tous les jobs réunis auxquels j'avais été auparavant, entre pannes de matos et problèmes de logistique. Sur le coup c'était pas spécialement rigolo, mais j'ai survécu et ai à peine eu le temps de boucler mon job, ma valise pour partir en congé, maintenant que les coéquipiers sont de retour de leurs congés.

À bientôt, en direct du bout du bout du monde (inchallah !).

dimanche 2 janvier 2011

La France aux Fançais, tu l'aimes ou tu la tiques

Ce post a été débuté comme un commentaire, d'un autre post, mais vu la longueur de ma réponse, et l'intérêt que je porte à ce sujet, et le vôtre à en croire l'explosion relative de commentaires, j'ai préféré en faire un post en soi.

Pourquoi ce qui était initialement une note d'une ancienne résidente de Paris, qui se plaignait des Parisiens - et Français - en bonne Parisienne qu'elle était encore un peu, s'est-il transformé dans ses commentaires en débat sur la place des étrangers en général et des étrangers issus d'anciennes colonies en particulier, en France.
Tous vos commentaires démontrent bien la complexité des relations entre la France et les étrangers (avec mention spéciale pour les anciennes colonies), ce je t'aime moi non plus qui a fait souffrir nos grands-parents (nous colonisés), nos parents (nous fils d'immigrés) et continue de nous faire souffrir, nous immigrés et vous Français (wesh bro!).

Le parcours un peu particulier qu'il m'a été donné de vivre m'a permis d'avoir des éclairages différents successivement, au fil du temps.
Je suis née fille d'immigrés, en Europe (France, Belgique, même combat). J'ai vécu une enfance sans histoire, dans un quartier avec peu d'immigrés (et les prix qui vont avec), par choix volontaire de parents qui ont fait passer l'éducation de leurs enfants avant le reste. J'ai eu à souffrir de quelques actes que je nommerais racistes aujourd'hui, en maternelle, venant de deux enseignantes, et suffisamment traumatisants pour que je m'en souvienne encore vingt ans plus tard. Sinon, rien de bien notable, j'étais une des six têtes brunes de la classe, à la piscine un jour on m'a traitée de basanée voleuse, savante juxtaposition d'un qualificatif politiquement incorrect et d'une assertion fausse. J'avais mon lot de complexes d'infériorité et de quête d'identité, propre à ma condition de fille d'immigrés au prénom imprononçable que rattrapait un nom à consonance occidentale.

Puis nous sommes "rentrés" "là-bas chez nous".

Rentrer, tu parles ! Moi qui n'avais jamais vécu plus de deux mois d'affilée en Tunisie, synonyme pour moi de soleil, famille et vacances d'été, ai dû tout ré-apprendre, à neuf ans. Nouveau continent, nouveau pays, je suis passée d'une capitale à une banlieue semi-rurale. J'ignorais que les petit-pois naissaient dans des cosses, et voilà que j'étais transférée dans un village où j'entendais les vaches meugler sur le terrain vague en face de la maison. Pas de frosties, pas de pepsi, pas de plats surgelés non plus, que des produits frais ! Le choc !
J'exagère un peu, ok, d'autant que ça c'était la partie facile. Il a surtout fallu apprendre à parler correctement tunisien, puis se mettre à l'arabe classique, et, surtout, apprendre à comprendre la mentalité locale, très différente de la seule mentalité que je connaissais jusque là et qui était mienne, la mentalité européenne. Nouveau choc identitaire : qui est-on quand on ne sent pas chez soi en Belgique parce que l'on n'a pas la bonne couleur de peau, mais qu'on ne se sent pas non plus chez soi en Tunisie parce que l'on n'a définitivement pas la même notion des choses : le sens de l'expression "à l'heure", du mot emprunter, du mot vérité, etc. Les deux passeports que l'on m'avait attribués ne m'étaient d'aucun secours et ne représentaient pour moi que des bouts de papier, très utiles j'en conviens, mais rien de plus que cela.

Au bout d'un certain temps, cinq and je dirais, je me suis finalement fait à ce que j'étais tunisienne, mais que j'avais aussi ma part de "belgitude".

Et puis, à dix-huit ans, je suis partie. Je suis retournée en Europe, en tant que Tunisienne. Quand on me demandait "de quelle origine" j'étais, j'insistais sur le fait que mes parents vivaient en Tunisie, pour ne pas être confondue avec une fille d'immigrés, ces immigrés entassés en banlieue entre eux, pour qui la vie est un combat, pour qui sortir de cette banlieue relève de la sélection naturelle.
En revenant en Europe, j'ai été propulsée dans un autre monde, celui où le racisme se fait rare car les gens sont suffisamment éduqués ou alors parce qu'ils n'ont jamais eu de problèmes de sous, et parce qu'ils n'ont jamais côtoyé le Almehdi qui pique les portefeuilles en bas de la rue. Oui, à Bruxelles ma mère avait quelques amies Marocaines, dont la maman de Almehdi, qui vivait dans un quartier de Marocains, et avait peut-être enseigné à son fils que voler les chiens de mécréants, ce n'est pas si mal, et puis ça remplit le portefeuille alors c'est tout bénef'.
Mais les événements en France étaient là pour me rappeler les relations compliquées entre la France et ses étrangers. Le Pen au second tour, la crise des banlieues, la création du ministère des étrangers, savamment nommé "l'immigration intégration identité nationale développement solidaire", et puis aussi mes amis tunisiens, des étudiants eux aussi, me racontant chaque année leurs nouveaux déboires pour obtenir un titre de séjour, tout autant d'anecdotes aussi récurrentes qu'humiliantes.

Alors voilà. Où est l'erreur, à qui la faute, qui blâmer ? La France et ses étrangers, c'est si compliqué. J'ai eu la chance de vivre tout ça. Mes parents m'ont éloignée des banlieues, ils m'ont enseigné les valeurs de l'Islam, et qui rejoignent d'autres religions et la morale en ce qui concerne le civisme. J'ai connu de loin le Almehdi pique-pocket et le Hugues qui avait un drapeau de la France dans sa chambre d'internat et chantait sa haine des étrangers à qui voulait l'entendre mais n'aurait pourtant pas rechigné à sortir avec la jolie Croate de sa classe. Et le Victor Français fils de Français qui gruge en métro systématiquement parce que de toutes façons on ne contrôle que les rebeus. Et le Malek Tunisien fils de Tunisien qui faisait des blagues racistes sur les noirs.


L'être humain, comme dirait l'autre, "est faible et cède facilement à la tentation d'être mauvais". Il lui en coûtera de manquer une occasion de briller en société par sa médiocrité. Un jour un Rachid a fait une faute d'accord alors pour nous tous les Rachid sont des brêles en français, et on lâche la blague, le "bon mot", dès qu'on le pourra.


Beaucoup de débats sur les étrangers sont tabous en France. Parce qu'ils sont pleins d'hidden agenda - souvenez vous du Débat sur l'identité nationale de 2009 ? Parce qu'ils dérapent systématiquement en mélopée raciste et nauséabonde ? Parce que de toutes façons les racistes resteront des racistes ?


Je suis convaincue que bien des idées reçues (entre les étrangers étudiant avec les bourses des français et les étrangers mangeant le pain des français, il n'y a malheureusement que quelques pas selon moi, ceux du temps et des aléas de la vie) peuvent être démystifiées en en parlant ouvertement. Parce que si l'on se contente de répéter ce que d'autres ont dit sans prendre le temps d'analyser ces idées (c'est souvent là la genèse des idées xénophobes), au moins si l'on en parle, d'autres pourront mettre le doigt sur les déficiences des arguments exposés et nous montrer que ce que l'on répète est absurde et faux.

Je parle je parle, mais je ne dis finalement pas grand chose. Oui le racisme c'est mal, oui voler c'est mal aussi, et quand ce sont souvent des personnes d'un même groupe ethnique, ça corrobore des idées reçues sur tout le groupe, ce qui est d'autant plus répréhensible pour les voleurs (Almehdi, arrête tes trafics, si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour moi !). Oui c'est mal aussi de parquer tous les étrangers loin des villes, dans des ghettos invivables, et de ne pas laisser accès aux HLMs intra-muros. Oui tout ça c'est lié, c'est même noué, tous ces fils complexes qui créent le tissus de problèmes qui nous reviennent en pleine face. Alors commençons à dénouer, à notre échelle.

Pour finir, je souhaiterais partager avec vous mon point de vue sur les étrangers.
Le Tiers-Monde, c'est le terme qu'il ne faut pas employer pour parler des pays "en voie de développement". Pourtant le Tiers-Monde recèle plus d'un point commun avec son calque, le Tiers-Etat. Quand la naissance de l'individu détermine son appartenance à une certaine classe, quand l'autre classe nous est inaccessible (ou beaucoup plus difficilement) parce que l'on est "mal-né", quand enfin l'une des deux classes contrôle les richesses, et que ces richesses ont été (créées à partir de matières premières) volées à l'autre classe, n'est-on pas en présence d'un seul et même schéma ?
À l'heure où la mondialisation est notre réalité, à l'heure où les entreprises du monde développé peuvent s'implanter (et vendre) partout dans le monde, est-il encore normal que les êtres humains ne le puissent que si leur passeport est de la bonne couleur ?