"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

jeudi 30 décembre 2010

Vous me manquez

Voilà c'est dit !

Bisous de loin, à bientôt de près, joyeux anniversaire au(x) gen(s) qui se reconnaîtront et Bonne année à tous !

mardi 28 décembre 2010

La France vue du ciel

Les Français sont connus dans le monde pour trois traits caractéristiques : leur hygiène douteuse d'abord, leur incapacité à parler autrement qu'en français, et leur manie de toujours se plaindre de tout.
Je ne sais pas dans quelle mesure les étrangers (Colombiens en premier) ont tort ou raison, mais je sais pour sûr que les Français en général et les Parisiens en particulier se plaignent beaucoup. Ils se plaignent de tout et de rien, du mauvais temps, de la canicule, des transports en commun, des embouteillages, de la pollution, des touristes, des provinciaux, de la retraite à n ans, de la retraite tout court, des grèves, des conditions de travail, du chômage, de tout et de rien.
C'est marrant de voir que les sujets des plaintes sont souvent ridicules (c'est pas en se plaignant qu'il fait moche qu'il fera moins moche), voire complètement contradictoires. En somme le parisien veut travailler moins que son voisin, gagner plus, vivre mieux, et aimerait bien que son voisin soit là pour l'aider dans cet objectif. Si le climat pouvait coopérer aussi ce serait la moindre des choses. Il faut que le métro arrive en même temps que lui sur le quai, à n'importe quelle heure, et en toutes circonstances, de même que l'avion qu'il a programmé pour ses vacances, d'ailleurs il en voudrait plus, des vacances.

Parce qu'il faut arrêter de se foutre de nos gueules, chaque année il neige, les aéroports devraient prévoir. Prévoir comment ? le Parisien ne le sait pas vraiment, et pour tout dire il s'en soucie comme de son voisin. Il a une vague idée du truc : il suffit d'employer plus de gens pour déblayer-dégivrer-décequ'ilfaut les pistes et d'acheter plus de produits anti-givre et puis voilà, si les pays du nord le peuvent, nous aussi, on est en France voyons pas dans un pays du Tiers-Monde.
Le produit anti-givre, encore une autre blague de ces espèces de feignasses de fournisseurs qui veulent visiblement pas travailler. Ah ça quand y a du boulot, ils sont en rupture de stock, ben voyons ! Ils pouvaient pas mettre le turbo pour les fêtes ?
Le Parisien n'a qu'une idée approximative de notions telles que l'espace de stockage de marchandise, la vitesse de fabrication versus la vitesse de consommation, le dimensionnement d'une entreprise et de sa production, les conséquences d'embauches saisonnières. Encore une fois, tout ça c'est secondaire, tout ce qui compte c'est que le l'avion du Parisien décolle.

Alors le Parisien qui a pris un billet pour le 24 au soir, qui a dû réveillonner à l'aéroport dans des conditions minables, qui a passé la nuit à bougonner que c'était Scandaleux, oh-la-la, on est en France bon sang, j'aimerais lui poser une question : pourquoi diable acheter un billet pour cette date ??


Alors le Parisien me répondra de son accent et de ses airs parisiens : mais co-mment je pou-vais prévoir à l'avance, tu tfous dma gueule ! C'est la meilleure ça, comme si c'était de ma faute en plus ! Attends les vols étaient dispo en septembre, alors oui, j'ai foncé, normal, j'allais pas passer à côté d'une telle occasion.

C'est d'autant plus drôle que pour qu'ils comprennent pourquoi l'avion n'a pas décollé, les Français, ils ont juste à réaliser que les compagnies aériennes et des aéroports, eux non plus, n'avaient aucune raison de ne pas proposer ces vols, en septembre, car le manque à gagner financier est plus important pour eux que d'écouter les plaintes des clients par une nuit à Orly. Le risque valait la peine d'être pris, ce même risque que toutes les victimes des vols annulés ont pris, en évitant soigneusement d'y penser au moment où ils l'ont pris.

vendredi 24 décembre 2010

Enfin seule..

Ce qu'il y a de bien avec les fêtes et les congés, c'est que tout le monde se bat pour pouvoir les prendre comme jours de repos
Pendant ce temps-là, je me tais, et savoure à l'avance la satisfaction que me procurera le court moment où j'offrirai gracieusement de travailler ces jours-là et me sacrifier ainsi pour la communauté, dans mon infinie bonté ; ainsi que le plaisir que j'éprouverai le jour-dit, à venir travailler, seule ou presque, et pouvoir terminer la montagne de petites tâches, qui ne font pas partie de ma description d'emploi, mais qui rendront mon travail quotidien bien plus facile (et que personne ne veut faire de toutes façons), dans un silence complet ; et enfin la joie de profiter de vacances quand tout le monde est de retour au bureau. Bref un cadeau trois en un, comment refuser ?


Merci tout le monde de vouloir prendre vos week-ends, vos jours de Noël et de l'an, continuez comme ça !

PS : et pour couronner le tout, je ne suis plus une trainee depuis hier !

mercredi 22 décembre 2010

2010 tu ne t'en tireras pas comme ça

Que peut-on ajouter après un post de bilan de l'année, alors qu'on est encore dans l'année courante ?

Bon ben en fait je voulais parler. Parler de ces journées qui disparaissent, les jours passés sur le terrain. Tu pars samedi, tu fais tes shifts, repasses en ville pour dormir et repartir. Et quand tu retournes à la base, trois jours se sont volatilisés. Vous vous souvenez des théories de l'agent Mulder, sur les heures qui disparaissent. Eh bien sur le terrain, c'est notre pain quotidien.

Après quand on revient on réalise qu'on a trois millions de choses à faire et qu'on a laissé filer des dead-lines. La boîte email explose (la professionnelle) et on a l'impression que nos amis facebooks nous ont enterré sans laisser de message au livre d'or. (ou, quand on a pris la peine de bombarder nos amis et notre famille de messages avant de partir, on peut espérer un taux de réponde de 0.2% soit 14 notifications.)

Voilà, c'était pour vous donner une idée. Je vais me coucher. Ah avant que je ne vous quitte, quelqu'un pourrait m'expliquer pourquoi certains (qui ne travaillent pas sur le terrain) souhaitent un joyeux Noël le 21 décembre ? genre comme s'ils allaient disparaître d'internet trois jours... la blague.

mardi 14 décembre 2010

Bilan 2010

J'ai réussi à ne pas succomber à l'attrait des blagues faciles sur Justin B parce que 1. on a tous été ado un jour même si on avait bien plus de style [écrite si petit, une vanne ne compte pas] et 2. ce serait apporter de l'eau au moulin médiatique de cet extraterrestre dont personne ne peut vraiment dire la profession, et il n'en vaut pas la peine ; je n'ai pas non plus cédé aux pressions de la mode qui en ce moment crient "body en dentelle" à tout va, sauf en Colombie. Il faut savoir rester sobre et intemporel, et puis les body c'est moche et la dentelle ça gratte !


Comme tout le monde je me suis ouvert un compte twitter et n'y ai jamais rien posté, faute de comprendre comment marche le site de réseau social le plus "user-friendly" d'Internet.


J'ai été contrainte d'abandonner pour un temps mon (merveilleux mais encombrant) appareil argentique pour acheter mon premier appareil numérique après des années de résistance. Depuis je prends 456 photos par jour, dont aucune n'arrive à la cheville des précieux clichés que prenait mon bébé argentique qui, lui, prend des vacances à durée indéterminée à Tunis.

J'ai découvert Mark Ronson et Miike Snow, et écouté en boucle leurs albums respectifs des heures durant, dans des aéroports, dans des avions, dans des pick-ups, dans ma chambre, dans une salle de classe, dans la rue, à la plage, que ce soit en Amérique, en Asie, en Europe ou en Afrique. J'ai aussi (enfin) découvert LCD Soundsystem, Hot Chip, Yeasyer, Passion Pit, Portugal. The Man, Eliza Doolittle, Ou est le Swimming Pool, Germany Germany et d'autres de la même veine, et si vous ne connaissez pas, écoutez leurs albums 2010, ils valent le détour. Oui, avouer que je continue d'écouter de la musique indé-électro-pop-rock-folk occidentale est complètement anti-"je vis en Colombie et je m'adapte aux valeurs locales", mais pour ma défense, j'estime m'investir déjà suffisamment en luttant activement pour la propagation du Vallenato dans le monde, par le biais de mentions régulières sur ce blog. Et puis j'ai même une playlist de ces chansons colombiennes qui, à force de les écouter à la radio ou à l'atelier, ont marqué mon subconscient et me donnent l'impression de les apprécier. Dans quelques années je les écouterai la larme à l'oeil, nostalgique. Mais en attendant j'écoute de la bonne musique à la place !


Mes miles ont explosé en même temps que mon bilan carbone, il m'a été donné de fouler le sol de 9 pays, 7 capitales, 16 aéroports, sur 4 continents ; mettre la main à l'eau de 3 océans ; travailler 27 dimanches (and still counting) ; passer une dizaine de nuits blanches (bis) ; publier 163 billets (ter) ; envoyer une vingtaine de cartes postales ; voir des billions d'octets de séries américaines ; travailler des milliers d'heures.


Bref en ce mois d'étrennes (n'oubliez pas les éboueurs, ils peuvent vous rendre la vie dure), merci et adieu 2k10 en espérant que 2K11 sera encore plus fun (ce qui ont lu en english ont eu droit à une rime en bonus, c'est cadeau) !

dimanche 12 décembre 2010

De retour en Tierra Caliente

Ne pas avoir de rythme, de congé ni de vacances conventionnels ne m'aide définitivement pas à m'adapter au non-changement de climat local.
Nous sommes presque en fin d'année, et ici il fait encore plus chaud depuis que je suis rentrée. Les pluies nocturnes régulières continuent d'alimenter le Rio Magdalena, de même que la chaleur diurne alimente notre quotidien. Il fait en moyenne 30 degrés et le soleil semble taper plus fort encore que dans mes souvenirs.

Pourtant l'atmosphère est bien celle de Noël : des lampions sont venus égayer les rues de la ville, et tous les foyers se sont fournis en décorations diverses, allant de la guirlande lumineuse au sapin, en passant par les crèches, très en vogue ici. C'est l'occasion pour la famille de se réunir dans la rue pour peindre les figurines de plâtre achetées au marché, sous le regard bienveillant des voisins (true story).

(photo prise de nuit au bas de l'immeuble où je vis)

Tout le monde ne pense plus qu'aux fêtes, et chacun élabore des stratégies pour s'assurer de pouvoir les passer en famille plutôt que sur un puits. Nous nous sommes arrangés à l'amiable au sein de l'équipe, et dans un élan de générosité j'ai volontairement proposé d'échanger mon 25 et mon 31 contre la promesse de pouvoir partir en congé un peu avant (ça, c'est fait) et un peu après les fêtes. C'est ce qu'on appelle se sacrifier pour la communauté, au moins, non ?

vendredi 10 décembre 2010

Chapitre III, épilogue - Cuba, Terre exilée

Je vous épargne le goût insipide ainsi que l'affront du récit des trois journées que nous passâmes à la plage, pour raconter en vrac les dernières impressions que me laissa mon court séjour à Cuba, dernier bastion d'un empire qui fut Jadis rayonnant et en lutte pour la suprématie du monde.

De retour à la Havane, nous avons souhaité acheter de l'eau en bouteille. L'épicerie face à l'hôtel fut pour nous une nouvelle surprise. S'il est évident que nous ne nous attendions pas à y trouver monts et merveilles, il est vrai également que nous ne nous attendions pas à ce qui ressemblait davantage à une épicerie en temps de guerre qu'à un supermerché en face d'un hôtel international. Rhum, eau, pâtes, et quelques autres produits de première nécessité étaient clairsemés sur les quelques étaux de la boutique, sans aucune variété de marques synonyme d'aucun choix pour les consommateurs. Le centre commercial mitoyen était, lui, plongé dans l'obscurité, et il baignait dans le hall d'entrée une odeur rance d'eau stagnante que nous attribuâmes à la plage toute proche. Nous n'avons jamais osé nous aventurer plus loin à l'intérieur, par souci de survie.

Le dernier jour, après un dernier regard plongé dans le bleu de la mer, venant frapper dans un raffut sonore et écumeux les remparts du Malecón, unique animation de la jetée Havanaise, nue et déserte, cette première calle primera, comme on nous l'avait expliqué sur place, par opposition à la seconde calle primera ou première rue parallèle, nous nous rendîmes à l'aéroport, soulagées que nous étions de rentrer "chez nous" en Colombie, la tête remplie des promesses de connexion Internet décente et de coca rafraîchissants.



Je n'entrerai pas dans les détails de la Mastercard de S qui ne fut acceptée nulle part sur place, des frais de change exorbitants pour chaque opération monétaire effectuée, de ce couple qui nous a extorqué plusieurs pesos après nous avoir abordé puis insisté pour nous conduire à la poste la plus proche qui était, disaient-ils, sur leur chemin, puis enfin réclamé plus que ce que nous étions prêtes à leur offrir. Je tairai l'épisode de la panne générale de (l'unique) distributeur automatique de l'aéroport, ainsi que notre surprise en découvrant que si nous avions déjà payé pour entrer sur le territoire, il nous faudrait raquer à nouveau si nous voulions pouvoir en sortir.

Par un heureux hasard, j'emportai avec moi lors de ce séjour une oeuvre qui m'a donné à réfléchir sur ce pays, sur la culture caribéenne , sur les thèmes du voyage et de l'éloignement. C'est un recueil de "Douze contes vagabonds", du Colombien Gabriel G Marquez. Je lus d'abord avec amusement les premières lignes du conte "Un métier de rêve", que j'avais déjà lu par le passé. Elles décrivent avec une précision toujours d'actualité la vue que j'avais du hall de notre hôtel, plus proche voisin de l'hôtel Riviera, autrefois renommé, où nous avions failli séjourner mais nous nous étions ravisées après avoir lu qu'il n'était plus que l'ombre de son ombre.
Cet incipit résumait tout. En trente ans, seule l'injure du temps était venue modifier l'aspect de cet hôtel déchu, du malecón dont "le lugubre" se mesure à la teneur en nuages gris du ciel qui le couvre, et en définitive de la Havane tout entière. C'est d'un côté ce qui fait son charme je pense : qui n'a jamais rêvé de pouvoir retourner dans les lieux de ses souvenirs et les retrouver intacts, tels qu'ils l'étaient restés dans leur mémoire. Le soleil agit sur la ville comme sur un visage, cachant les rides et les taches grises. Mais dès que le ciel se couvre, la Havane ne peut plus dissimuler la marque du temps. Et nous l'avons vue, vieille et fripée, comme nous l'avons vue presque jeune et joyeuse.


Je tiens à préciser que je ne souhaite nullement faire ici le récit d'une ville misérable, car La Havane ne l'est certainement pas. Cette capitale restera pour moi une grande ville par la culture, par l'art, par ses gens pour la plupart accueillants. Je m'y suis rendue parce que je souhaitais voir par moi-même ce pays tout proche qui semble suspendu dans une autre époque. Je voulais me faire une idée propre et claire de la vie sur place, découvrir quelque chose, sans savoir exactement quoi. Je ne m'étais pas beaucoup renseignée avant mon départ, de la même façon que je n'aime pas lire les critiques d'une pièce de théâtre ou d'une exposition d'art avant de la voir par moi-même, pour me faire ma propre opinion, libre et personnelle. C'est à peine si je savais qu'il y avait deux monnaies sur place.

Pour moi la Havane se tient du haut de son île, telle une grande reine déchue, qui aurait perdu son panache au fil des années, sans s'en apercevoir, persuadée que son exil ne serait qu'éphémère. Car elle est comme exilée, loin de Miami, loin de la Colombie, loin de tous bien que toujours sur la carte, loin par la pensée.

J'aime à croire que la fin de cette triste ère que connaît Cuba approche, que bientôt la Havane se relèvera, et que cette péninsule s'ouvrira au monde, pas nécessairement pour s'américaniser de façon primaire, mais pour offrir plus de liberté aux gens, leur offrir le rêve de pouvoir voyager, comme en Colombie ou malgré tout les gens sont généralement suffisamment heureux chez eux pour ne pas se sentir pousser des ailes migratoires. J'aime à penser que les Cubains se souviendront de cette époque uniquement comme d'un mauvais rêve, et qu'une poignée de vieux réac' continueront de clamer que c'était mieux avant.

Mais ce n'est pas pour tout de suite. Aujourd'hui, les Cubains ne connaissent du monde extérieur que ce que les touristes ou la radio locale veulent bien leur dire. Les seuls ouvrages disponibles dans les librairies sont des ouvrages communistes ou d'autres relatant la vie du Che, jaunis par le temps, quand ils ne sont pas écornés. "Heureusement" pour eux, beaucoup de gens se bercent de la certitude que ça pourrait être pire, car tous n'ont pas la cruelle lucidité de l'artiste que nous avons rencontrée, ou les mêmes aspirations au voyage que cette âme égarée, prisonnière de son propre pays et de son propre esprit. En attendant, elle peint.

mercredi 8 décembre 2010

Chapitre II - Cuba, Terre isolée

Après une bonne nuit de sommeil, nous sommes prêtes à affronter notre destin, et à sortir visiter la ville, bravant tous les obstacles, le mauvais temps et les visages moins affables que ceux que nous connaissons en Colombie.

Le soleil nous fait l'honneur de sa présence, et le bus de l'hôtel nous emmène à La Habana Vieja. Les rues nous enchantent, le soleil donne une autre teinte aux maisons décrépites, un certain charme vieilli, mais soudain joyeux, tout juste comme nous.

Nous nous éloignons vite des autres touristes et commençons à déambuler, sans savoir trop ce que nous cherchons, de l'authenticité, capturer un peu de cette vie locale, et non pas uniquement regarder des murs rouges et bleus et des voitures des temps passés.


Notre promenade nous conduit devant une boutique un peu spéciale. Il s'agit de l'atelier d'une artiste, qui a élu domicile loin de la rue des vendeurs de peintures de paysages locaux certes kitsch mais ô combien réchauffés, et elle peint autre chose.

On entre découvrir cette petite pièce lumineuse, composée d'un chevalet, d'une petite table où sont posées les peintures. Ici une plante, là un fauteuil, sont autant d'accessoires qui insufflent à ce local un parfum d'authenticité. Ici il s'agit de meubles courants, rien à voir avec des trouvailles d'antiquaires, cependant ils ont été choisi avec soin et disposé avec goût. L'artiste, une cigarette à la main, semble avoir entamé la soixantaine, bien que ses courts cheveux noirs nous inviteraient à croire le contraire. Elle est vêtue comme elle a décoré son intérieur : avec soin et goût. Plusieurs bagues parent ses doigts, et elle semble savourer chaque minute de son travail. Je me l'imagine ayant voyagé toute sa jeunesse, pour nourrir son imagination et son inspiration, aussi parce qu'elle a l'air ouverte et intellectuelle, comme une dame du monde qui aurait beaucoup voyagé, toujours avec classe, élégance, et un carré Hermès noué au cou (oui mes a priori sont ridicules, mais ils ont été nourris à coups d'encarts publicitaires de magazines féminins, on ne se refait pas).

Nous engageons la conversation avec elle de manière plutôt naturelle. Elle nous explique ses techniques, nous décrit certaines de ses oeuvres. Un tableau me tourmente, et je ne le comprends pas : un mur tout noir, duquel se détache une main qui soutient entre le pouce et l'index une boule métallique. Cette boule contient une fenêtre au milieu de sa face visible, fenêtre sur une plage luxuriante de végétation, au bord de la mer. Un homme au visage déconfit se tient sur cette plage. Il ne profite pas de son île, au lieu de cela il est accroché aux barreaux de la fenêtre, des barreaux de métal, inaltérables. Pourquoi cet homme, qui vit sur une île de rêve est-il cramponné à cette fenêtre, qui donne sur une pièce noire. L'artiste me dit que c'est comme ça, et que même le plus bel endroit du monde devient une prison si l'on ne peut en sortir. Je reste perplexe, un peu décontenancée.

Cependant nous continuons de converser, et nous apprenons à notre hôte de fortune que nous résidons en Colombie. Elle nous demande comment c'est, si ce n'est pas trop dangereux - les idées reçues ont la vie dure… Nous lui chantons notre amour pour ce pays, et lui conseillons vivement de le visiter si elle a l'occasion de voyager. Non, je ne voyage pas. C'est sa réponse. Nous demandons des détails, étant donné cette phrase qui semble sans appel. Elle nous explique alors que quand on est Cubain, pour pouvoir sortir du pays, il faut un motif de voyage (le tourisme n'en est pas un), et une invitation personnelle de la part d'une personne qui se porte garant pour nous. Notre artiste nous explique que du haut de ses nombreux printemps, elle n'a jamais voyagé de sa vie et ne voyagera sans doute jamais, et que ses compatriotes en majorité non plus. Pas de télévision par satellite non plus, et seul un accès restreint à Internet est disponible, avec une connexion médiocre et un unique fournisseur d'adresses mail, correodecuba.com.

Le tableau prend alors pour moi tout son sens.


Nous la quittons en prenant les coordonnées de notre charmante amie, qui nous a apporté en une demi-heure ce que nous cherchions depuis la veille, parler franchement à des gens d'ici, profiter de ce que la langue ne soit pas une barrière, et de ce que la culture ne soit pas pour nous qui vivons si près, un si grand clivage.


Nous nous éloignons, repensant à cette rencontre, et à ce que nous venons d'apprendre, pour nous diriger vers une église, au sortir de laquelle nous nous attardons à prendre des photos artistiques. Jusqu'à ce que la vue d'un couple m'arrête tout net. La fille me dit quelque chose, je crois la connaître, mais ne me souviens plus d'où. Il faut dire que je ne m'attendais pas à devoir faire appel à ma mémoire de souvenirs parisiens si loin de la Tour Eiffel. Je suis incapable de quitter mon regard de cette jeune fille, et finis par tenter une approche timide en leur demandant s'ils sont Français. Ils répondent par l'affirmative. La fille ressemble à cette ancienne miss météo de Canal, dont bien sûr j'ai oublié le nom. C'est marrant qu'elle fasse du tourisme au même endroit et au même moment que moi. En bas de la rue j'ai l'impression que des gens sont assis et se préparent. Je m'imagine que c'est un orchestre de rue qui va donner un petit concert. Ma camarade de voyage pose et je prends des photos, et cette star parisienne est là, toujours. Alors je lui pose la question : "C'était pas vous la fille de Canal + ou un truc comme ça ?", auquel elle répond un oui timide, presque chuchoté. Et alors que je m'apprête à répliquer que ça fait dix bonnes minutes que je me le disais, mais que je n'avais pas pu avoir de confirmation de mon amie parce que bon elle est Italienne et de toutes façons on vit en Colombie alors j'ai un peu oublié la France et son showbiz, elle me coupe l'herbe net en me disant qu'en fait là ils sont en train de tourner…

En fait ce n'était pas un orchestre, c'était l'équipe de tournage, et deux personnes viennent nous demander de continuer de marcher plutôt que de rester immobiles à deux pas de la prise de vue. Ah euh bon, ben euh on descend, et on se retrouve au milieu de l'équipe de tournage, qui n'en a rien à faire visiblement. Je capture deux trois photos, pour chercher plus tard à qui appartiennent les autres visages qui ne me reviennent pas (bien que j'ignore si c'est dû au fait que je n'ai jamais vraiment connu le nom des célébrités françaises ou au fait que ce n'en soient pas). Ils filment trois fois la même prise, et nous nous lassons, et préférons passer notre chemin. Je me demande en m'éloignant si les Français que nous laissons ont la moindre idée de la vie ici, coupée du monde, sans autres nouvelles que celles véhiculées par l'Etat, ou si l'on verra uniquement des décors de carte postale et des acteurs parisiens dans leur film dont j'ai déjà oublié le nom…



Nous continuons notre route, pour nous arrêter par hasard dans deux boutiques de souvenirs mitoyennes, où nous faisons la connaissance d'une jeune femme aussi chaleureuse que serviable. Elle nous proposera, en même temps que des souvenirs de son pays, des activités pour l'après-midi, et des lieux à voir. Elle nous expliquera que si l'on n'a pas de quoi payer, elle accepte le troc, de vêtements, ou de produits d'hygiène (savon, shampoing) ou encore de sucreries pour les enfants, qui sont si dures à trouver ici. Nous n'en revenons pas, bien que cette rencontre nous offre des réponses aux questions que nous nous posions depuis la veille : où les gens achètent-ils leurs vêtements, eux qui semblent vêtus au même siècle que nous, sans que l'on puisse trouver aucune trace de magasins actuels.


Cuba, terre où communiquer et partager semble si facile et si difficile à la fois...

samedi 4 décembre 2010

Chapitre I - Cuba, Terre du passé

Jeudi matin nous arrivions à l'aéroport international de La Havane. S me confie dès les premières minutes que c'est le plus moche aéroport (international) qu'il lui ait été donné de voir. On arrive dans le taxi après avoir déjà parlé à six personnes dont la dame de l'immigration, qui nous demande où nous avons appris à parler l'espagnol ; madame pipi, qui voulait échanger 4000 pesos colombiens contre la devise locale et ne voulait pas croire qu'ils ne valaient que 2$ ; un type qui attendait ses bagages ; des gens devant le guichet automatique qui nous expliquent les deux monnaies locales, le cours du pesos convertible et les taux de change divers.


L'arrivée à l'hôtel est pour le moins décevante. Il fait gris et nuageux à l'extérieur, et sombre à intérieur de l'hôtel. La décoration relève davantage du film d'auteur des années soixante, et l'on apprend bien vite que notre chambre ne sera prête qu'une heure plus tard, qu'il n'y a pas de connexion à Internet gratuite et que le wifi n'est disponible que du lobby. La carte de S ne lui permet pas de retirer de l'argent sur place et tout le monde fume un peu partout dans l'hôtel.

Après avoir déposé nos affaires nous sortons faire un tour, dans une ville défraîchie, dont la croisette morne et vide semble sortie d'un film d'horreur. Nous entrons dans une supérette sise face à l'hôtel, et ne trouvons qu'une dizaine de produits disponibles, des produits de base : cigarettes, rhum, eau, pâtes. À côté, se trouve un "centre commercial". Dedans ça sent les eaux usagées, il n'y a pas d'éclairage et les magasins semblent nus.

Dehors des voitures des années cinquante, des gens plantés dans leurs maisons, qui regardent les passants, passants qui eux aussi regardent les passants.


Cuba, île oubliée, terre désolée, où tout le monde semble échoué.


[rassurez-vous, it can only get better!]

mercredi 1 décembre 2010

Jingle Bells

Noël est à nos portes. L'automne nous quitte (déjà) et l'hiver s'engouffre.

Les lumières ont envahies les rues, des chants chrétiens s'ajoutent au rythmes endiablés de Reggaeton et de vallenato, en journée à la base, comme en soirée, partout dans les rues de la ville. Le centre commercial s'est paré de mille feux, de faux rênes, de faux ours polaires, de la fausse neige, de faux tigres (cherchez l'intrus). Le rayon déco du supermarché a remplacé les citrouilles et diablotins par des guirlandes et des séraphins.

Tout cela sous un soleil de plomb qui n'en finit pas de taper, ce n'est pas moi qui m'en plaindrai cela dit. Je connaissais les hivers doux, ici je découvre les hivers chauds, c'est à en perdre le Nord. En avant-première une photo des décorations de Noël du centre commercial du coin, avec des boutiques plutôt inattendues en arrière-plan :-)


Allez, bonnes vacances les boudinous, à bientôt pour de nouvelles aventures, au pays où le Coca Cola n'a pas sa place !