"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

dimanche 30 septembre 2018

Langage de signe


Il y a quelques années de cela, quand j'étais de l'autre côté de la planète, je vous avais fait découvrir des signes qui m'avaient surprise dans la culture locale.

Aujourd'hui je voulais partager un signe typique ici, qui mène à des situations cocasses en Inde.

Si jamais vous avez rencontré des Indiens (surtout du Sud je crois), une chose que vous avez peut-être remarquée, et qui vous a peut-être induit en erreur ou rendu fou, c'est le dodelinement de tête de droite à gauche plusieurs fois, comme suit :


Ce mouvement est inédit, et n'a pas d'équivalent en occident (que je sache).
Il se rapproche d'un mouvement de négation, mais s'exécute dans la direction de la tête et non perpendiculairement au cou. Il ressemble un peu aussi au signe qu'un occidental pourrait faire s'il était dubitatif ou mitigé.

Alors là où les choses se compliquent, c'est que la signification de ce signe pour les Indiens est à l'opposé ! En effet ce dodelinement improbable marque en fait l'assentiment, d'ailleurs souvent la personne sourie en exécutant ce geste. Je dirais que ce qui s'en rapproche le plus c'est un "einh-hein" que les occidentaux disent pour marquer l'approbation dans un dialogue, alors qu'ils écoutent quelqu'un parler. Ça veut dire "oui, continue, je te suis".

Le truc c'est que ce signe je l'ai découvert avant d'arriver en Inde, car il y a une grande communauté indienne au Royaume-Uni. Quand j'étais au Royaume-Uni, ce signe me rendait folle ! C'est oui ou c'est non ? Décide-toi !
Depuis, je m'y suis habituée, c'est d'ailleurs sûrement pour ça que j'avais oublié d'en parler ici. Pire, je me surprends même de temps en temps à le reproduire moi-même... je suis damnée !

mercredi 19 septembre 2018

le Père

Par où commencer ?

Petite, j'ai grandi avec une peur au ventre. Celle de te perdre. Nous étions si jeunes et tu étais déjà si malade.
Alors que la plus grande crainte de mes camarades, que j'enviais, était d'avoir une mauvaise note au contrôle de maths, la mienne était que tu étouffes en avalant de travers, ou que tu fasses un double pneumothorax des suites de ton emphysème- oui je connaissais le sens de ces mots. J'avais 13 ans. L'âge auquel tu as commencé à fumer. Quelle idée ?
Je t'en ai tellement voulu. Des années auparavant nous avions déjà mis en place toutes sortes de manigances pour te faire arrêter : jeter ton paquet, percer toutes tes cigarettes, pleurer, faire du chantage. Tu as fini par céder. Et heureusement.
J'ai souvent prié pour que tu sois épargné "jusqu'à ce que nous soyons tous indépendants, une fois passée la trentaine".

Et les années ont passé. La médecine a progressé. Tu t'es fait opérer. Plusieurs fois. Ta capacité respiratoire a augmenté. Mes camarades ou leurs proches ont été frappés, ceux-là mêmes que j'enviais. Toi tu t'es mis à la marche à pieds. Ta santé s'améliorait. Et je grandissais. Et j'oubliais. J'en étais arrivée à me convaincre que tu avais été épargné. Que la cigarette avait perdu, que tu lui avais survécu. Que tu vivrais longtemps, rencontrerais mes enfants, et t'éteindrais paisiblement. Tu étais là lorsque je suis partie en France. Là lorsque je suis partie en Colombie. Toujours là à mon arrivée au Royaume-Uni. Tu étais là quand ma soeur s'est mariée. Là pour son premier, puis son deuxième bébé. Là quand l'Inde s'est profilée. Là pour mon frère quand il s'est marié.

Et puis tout a été chamboulé. Le destin nous a rattrapés et le sort s'est précipité. Cauchemard ou réalité?
En l'espace de trois mois, tu es tombé malade, le verdict s'est profilé et la mort t'a emporté, en ce jour sacré.

Le deux mars mille neuf cent quatre-vingt cinq, je suis née - ce jour-là te doutais-tu que trente-trois ans plus tard, au jour près, tu t'éteindrais ?


Onze jours après ton départ, je m'envolais.

dimanche 16 septembre 2018

Mes sources

J'ai la chance de travailler avec des gens formidables ! La plupart de mes collègues sont Indiens, et viennent des quatre coins du pays.
Chaque jour, le déjeuner est une opportunité pour moi d'en apprendre un peu plus sur l'Inde, les us et coutumes et la culture du pays.

Ce n'est pas la cantine du bureau, mais ça y ressemble beaucoup !

Au début je n'osais pas poser trop de questions. J'avais peur de mettre les pieds dans le plat ou de faire un faux pas. Je me contentais de retenir tout ce que j'entendais sans rien remettre en question.

On a commencé avec des thèmes classiques : la météo, le climat, les saisons, la nourriture et les plats locaux. Puis petit à petit on a dévié vers le cricket, l'histoire de l'Inde, la mythologie, la religion.

Il doit y avoir un tas de raisons qui l'expliquent, mais tous les récits que me font mes collègues sont encore très confus dans ma tête. Parmi les raisons qui expliquent peut-être cela, il y a certainement le fait que je ne comprends pas toujours ce que me disent mes collègues. Chacun y va de sa petite histoire, et ils se contredisent l'un l'autre pendant leurs récits mutuels, ce qui ne facilite pas les choses ! Et puis j'ai une compréhension encore très approximative des expressions et tournures linguistiques locales.

Pour vous donner un exemple, je ne sais toujours pas si le Roi Ram a réellement exité ou bien si c'est une légende. Ce serait un des Dieux vénéré. Chaque région semble avoir ses propres Dieux. Ça non plus je ne le comprends pas encore très bien. Est-ce compatible avec l'Hindouïsme ?

Nos conversations dérivent souvent à partir d'une question que je pose en début de déjeuner, comme pour lancer un thème. L'autre jour, par curiosité et un peu par provocation, j'ai demandé quelle était l'opinion publique vis-à-vis de la dépénalisation de l'homosexualité. Eh bien je n'ai pas encore de réponse à cette question, mais cette conversation a débouché sur un thème que je pensais encore plus tabou : une collègue a répondu à ma question que c'était simple désormais et qu'on pouvait être avec quiconque, quel que soit son sexe, à condition que l'autre soit de la bonne caste !

J'ai juste eu le temps d'apprendre que mes collègues pouvaient reconnaître la caste de quelqu'un rien qu'au nom de famille et que beaucoup de communautés prenaient encore ça très au sérieux. L'Etat a mis en place beaucoup de mesures censées aider les castes défavorisées à rattraper leur retard, par le biais de quotas (aux concours d'entrée à l'université ou de la fonction publique par exemple), mais que cela est vécu comme une injustice pour beaucoup d'autres, qui considèrent que les quotas créent différents niveaux d'entrée. J'aurais adoré en discuter plus longuement, mais j'avais une réunion que je ne pouvais pas manquer. Mais je suis sur le coup !

vendredi 7 septembre 2018

L'ordinaire

Dans quelques jours, je fêterai six mois de vie en Inde.
Ces six premiers mois sont passés si vite.

Cet après-midi, sur le chemin de retour du travail, je me suis essayée à un exercice intéressant.
Ça faisait quelques jours que j'essayais de retrouver mes premières impression afin de pouvoir les partager dans l'ordre, vu que j'ai six mois de nouvelles en retard à rattraper et que malheureusement j'ai désormais dépassé le stade de l'émerveillement semi-permanent.
Je voulais retrouver le regard presque enfantin que je posais sur ce qui m'entourait, les premiers jours de mon arrivée.

Cet exercice, que j'ai trouvé très enrichissant, demande une grande attention, car il requiert de coordonner ses sens avec ses pensées.

Voici quelques uns des éléments qui me sont revenus à l'esprit au cours de ce trajet.

***

Avant d'arriver en Inde, je pensais que les saris étaient des tenues féminines réservées aux cérémonies. Cela vient du fait qu'en Tunisie c'est le genre de tissus très prisés pour confectionner des tenues cérémoniales féminines. Et sans doute aussi du fait que mes amies Indiennes du Royaume-Uni se vêtaient de la sorte exclusivement lors de festivités.
En fait désormais je dirais que le sari est plus une façon de porter une étoffe, que l'étoffe elle-même, et selon le tissus, sa complexité et sa noblesse, la tenue sera plus ou moins "habillée". J'ai été très surprise de voir des dames balayer les rues vêtues en ce que je qualifierais de superbes saris festifs, aux couleurs chatoyantes.

En continuant dans le registre vestimentaire, j'avais été frappée de voir autant de femmes à moto qui semblaient porter une burqa. En fait non pas une burqa, mais un grand foulard, souvent haut en couleurs, qui cachait tout le visage sauf les yeux, alors même qu'il était parfois accompagné de tenues à manches courtes. Je me suis demandé si certaines femmes Indiennes avaient succombé à l'effet de mode burquesque qui a frappé une grande partie du monde Arabo-musulman, tout en l'adaptant à leurs traditions locales.
La réponse est venue des mois plus tard. Je pose souvent tout plein de questions aux membres de mon équipe, et ils me guident à travers les méandres de la culture Indienne. Je serais perdue sans eux ! J'ai mis du temps à oser aborder le sujet. Quand je leur ai parlé de cette tendance particulière aux motocycliste, ils ont bien ri.
Il s'est révélé que ces femmes ne portaient pas un voile par souci de "modestie" comme diraient les soeurs de cité, mais simplement par souci de coquetterie. En effet c'est pour protéger leur visage contre la pollution qu'elles le recouvrent, et ce quelle que soit leur religion.



Et elles ont bien raison, car de la pollution, il y en a. À moto, il y en a encore davantage. D'ailleurs des motos aussi il y en a un paquet, et sont eux-même responsables d'une grande partie de cette pollution.
Des voitures aussi, il y en a beaucoup. Et le code de la route est ici une notion floue et très variable. Ce n'est peut-être pas si mal, car s'il était respecté, les temps de trajets (déjà si disproportionnés par rappport aux distances - autour de 20km/heure, voire 10 aux heures de pointe qui sont plus nombreuses que les autres) seraient à coup sûr décuplés.
Comment expliquer les bases du code Indien de la route ?
En comparant les véhicules à de la matière, on pourrait dire que cette matière serait à l'état solide en Occident, alors qu'elle est à l'état liquide ici en Inde. En effet en Europe par exemple, la conduite est très codifiée et rigide. De ce fait les véhicules avancent en ligne, s'arrêtent, puis repartent, de manière très robotisée et déterministe.
En revanche ici, on dirait que les conducteurs optimisent l'espace en faisant leur possible pour occuper toute la surface de route disponible, à tout instant. La priorité est à celui qui avance en premier, ou qui klaxonne le plus fort. Il en résulte un spectacle plus vivant, comme un torrent qui chercherait à atteindre la mer par le chemin le plus court.

Par voie de corollaire, à la pollution de l'air s'ajoute aussi la pollution sonore. Moteurs de voitures, de motos, de rickshaws et klaxons de tous forment une symphonie (ou cacophonie, selon les sensibilités de chacun) qui rend tout trajet piéton plus animé.
Et je ne parle même pas du casse-tête qui consiste à réussir à se loger suffisamment loin des artères principales tout en restant suffisamment près de son travail pour minimiser le temps de navette quotidien. C'est un problème très compliqué à résoudre, mais ce n'est pas l'objet de ce texte.

samedi 1 septembre 2018

Premières impressions

Pune.
C'est le nom de la ville où je vis désormais.


Pune se situe dans le même état que Mumbai, et se trouve à environs 300km de la plus grande ville. À côté, Pune est une petite bourgade d'à peine trois millions d'habitants... C'est la neuvième ville du pays en terme de population.

Je n'avais jamais mis les pieds en Inde et ne savais donc pas précisément à quoi m'attendre. J'avais une petite idée, influencée par mon expérience du Sri Lanka, où j'avais passé deux semaines l'an dernier pour des vacances inoubliables.

Les commentaires de mes amis qui avaient visité l'Inde m'interpelaient. Il y était question de bruit et d'odeur, d'extrême pauvreté et de maladie.
Avec un peu plus de recul je commence à réaliser à quel point l'Inde est diverse - unity in diversity est son slogan. N'oublions pas qu'il s'agit d'un pays six fois plus grand que la France.

Je réalise aussi que notre vécu et notre expérience façonnent nos jugements. Principalement nos premières expériences.

La première chose que je me souviens avoir pensé après avoir atterri à Pune à 4h du matin, en sortant de l'avion, c'est que je ne sentais pas d'odeur désagréable. Mon Inde ne sentirait pas mauvais.

La deuxième observation, juste après avoir récupéré les nombreux bagages, a été le constat qu'il n'y avait que des Indiens tout autour. C'était inhabituel et à vrai dire plutôt inconfortable les 15 premières minutes, après mon cerveau s'est ajusté au paysage. Mon Inde serait peuplée d'Indiens.

Puis en sortant de l'aéroport (où les locaux accueillaient leurs voyageurs, deuxième vague de nouveux faciès Indiens, deuxième bouffée de panique momentanée), la navette de l'hôtel n'était pas là.
Notre agence de déménagement avait tout réservé : l'hôtel, la navette, et l'emploi du temps des trois jours suivants. Mais la navette n'était pas là. À 4h du matin, après un périple de plus de 12 heures.
Forte de mon vécu en Tunisie, j'ai gardé mon calme mais j'ai pensé que mon Inde ne serait pas fiable. Je me suis ravisée depuis, et pense désormais que mon Inde a une façon différente de gérer la fiabilité, avec ses points forts et ses limites. Mon Inde est fiable autrement.

Après quelques coups de fil anxieux et une dizaine de minutes d'attente, la navette est arrivée. Pendant cette attente, je me suis sentie bien et en sécurité. D'autres personnes étaient là, assises ou debout, à attendre un être cher sans doute. Un restaurant de rue servait des plats typiques juste à la sortie de l'aéroport, et passait de la musique à plein volume, au milieu de la nuit. Mon Inde serait festive.

La voiture de navette n'était pas du tout équipée pour transporter autant de valises. Mais le chauffeur s'est efforcé de tout caler dedans tant bien que mal en refusant la moindre aide. Mon Inde serait très serviable.



Réfléchir à ces premiers instants me permet de réaliser l'influence des biais cognitifs dans la construction de notre pensée et de nos jugements.
L'ancrage mental, c'est-à-dire l'influence de nos premières impressions. Le biais de confirmation, qui signifie privilégier les informations qui confirment nos a prioris. Le biais de représentativité, ou l'on extrapole l'expérience que l'on fait de quelques individus à toute une population.

Comme mes amis, je construis moi aussi mon jugement grâce à ces biais, et j'ai eu la chance de commencer mon expérience Indienne à Pune !