"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

jeudi 28 octobre 2010

Enclave toi-même !

Ça vous arrive à vous parfois de passer par une mode verbale ?

Parce que moi en ce moment, toutes les 3 secondes j'ai envie de placer le mot "enclave" et je trouve ça un peu suspect.

Je dis suspect parce qu'en les N printemps qui constituent ma vie, j'ai déjà eu des crises uni-mot, à treize ans je prononçais plus de fois le mot "grave" que les mots "salut / présente / ciao / merci" réunis. Puis, quelques années ont passé, et quand bien même je m'étais promis de ne jamais tomber dans ce vice, je suis passée dans le camp de ceux qui remplacent indifféremment les expressions (liste non-exhaustive) : "par exemple / mettons / comme si / quel(le) plouc(asse) / imaginons / il(elle) veut nous faire gober que / dis-moi" par le double syllabes GENRE. Quelques mois plus tard, le mot zaama s'y substitua. Et ainsi de suite, régulièrement, au gré des saisons, passèrent par là les "enfin voilà quoi", les "à base de", les "rapport au fait que", et d'autres expressions tout aussi éphémères que ridicules, mais oui je suis un petit peu word-fashion-addict sur les bords, je l'avoue.

Oui mais revenons à notre mouton, ou plutôt à notre brebis galeuse, pour vous exposer où le bât blesse.

Bon ben déjà, clairement, en ce moment - ni jamais par le passé, et sans doute pas pour l'avenir non plus - je n'ai pas ouï dire que le mot enclave était particulièrement hype. Et quand bien même il l'eût été, franchement, enfin honnêtement quoi, j'ai pas souvent l'occasion de parler français ces derniers jours. Donc de une, cette nouvelle mode me serait arrivée en retard, et de deux, mettons qu'elle soit arrivée, je n'aurais pas des masses d'occasions de placer ce mot dans le cadre d'une conversation francophone vu que là je ne parle cette langue que sur internet, à l'écrit donc...

Mais le problème est plus pernicieux que ça, puisque, alors même que je parle espagnol, j'ai ce mot, enclave, sur le bout de la langue.

- ehh.. ehh (oui en Colombie on dit ehh pas euhh)... es como... una enclavia ? sabes lo que es ?

Maintenant en VF pour que tout le monde suive
- euuuuuuh...... c'est comme... genre... enfin tu vois quoi.. una enclavia, tu comprends ? ça existe en espagnol ça comme mot ? oui ? ça veut dire quoi, dis-moi, en espagnol ?

Du coup j'ai eu droit à une bonne réponse de Normand à base de
- moué, je vois le concept du mot en espagnol, mais je serais bien incapable de te donner le sens exact. Ça veut dire quoi en français ?

Et là je me suis remué les méninges, retourné les neurones, et pif paf pouf, jeu set et match, un deux trois soleil, #jairéalisé que ben non en fait, je savais pas non plus.

ET LÀ RÉSIDE TOUTE L'ÉNIGME QUI M'HABITE : pourquoi diable ai-je envie de balancer 412 fois par jour un mot dont j'ignore le sens exact. Ça m'a frappée comme ça d'un coup. J'ai bien essayé d'analyser, de voir dans quel contexte j'avais voulu utiliser ce mot les 411 fois précédentes, essayer de recouper les sens, voir si y avait pas au moins une idée générale commune, mais bien sûr les neurones de ma partition francophone ont eu le bon goût de faire grève pile à ce moment, et ça ne m'a pas trop étonnée je dois dire. Donc blanc, aucun moyen de savoir ce que j'avais voulu dire. Ben voyons.

Alors j'arrive à ce constat affligeant : non seulement je perds la mémoire (sémantique et vive), quoique à la limite, ça pourrait s'expliquer par l'enclave de ma situation ; mais en plus j'ai choisi un mot hideux pour jouer le rôle de jocker dans mon jeu de mots de 32 cartes déjà bien vermoulu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire