"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

vendredi 10 décembre 2010

Chapitre III, épilogue - Cuba, Terre exilée

Je vous épargne le goût insipide ainsi que l'affront du récit des trois journées que nous passâmes à la plage, pour raconter en vrac les dernières impressions que me laissa mon court séjour à Cuba, dernier bastion d'un empire qui fut Jadis rayonnant et en lutte pour la suprématie du monde.

De retour à la Havane, nous avons souhaité acheter de l'eau en bouteille. L'épicerie face à l'hôtel fut pour nous une nouvelle surprise. S'il est évident que nous ne nous attendions pas à y trouver monts et merveilles, il est vrai également que nous ne nous attendions pas à ce qui ressemblait davantage à une épicerie en temps de guerre qu'à un supermerché en face d'un hôtel international. Rhum, eau, pâtes, et quelques autres produits de première nécessité étaient clairsemés sur les quelques étaux de la boutique, sans aucune variété de marques synonyme d'aucun choix pour les consommateurs. Le centre commercial mitoyen était, lui, plongé dans l'obscurité, et il baignait dans le hall d'entrée une odeur rance d'eau stagnante que nous attribuâmes à la plage toute proche. Nous n'avons jamais osé nous aventurer plus loin à l'intérieur, par souci de survie.

Le dernier jour, après un dernier regard plongé dans le bleu de la mer, venant frapper dans un raffut sonore et écumeux les remparts du Malecón, unique animation de la jetée Havanaise, nue et déserte, cette première calle primera, comme on nous l'avait expliqué sur place, par opposition à la seconde calle primera ou première rue parallèle, nous nous rendîmes à l'aéroport, soulagées que nous étions de rentrer "chez nous" en Colombie, la tête remplie des promesses de connexion Internet décente et de coca rafraîchissants.



Je n'entrerai pas dans les détails de la Mastercard de S qui ne fut acceptée nulle part sur place, des frais de change exorbitants pour chaque opération monétaire effectuée, de ce couple qui nous a extorqué plusieurs pesos après nous avoir abordé puis insisté pour nous conduire à la poste la plus proche qui était, disaient-ils, sur leur chemin, puis enfin réclamé plus que ce que nous étions prêtes à leur offrir. Je tairai l'épisode de la panne générale de (l'unique) distributeur automatique de l'aéroport, ainsi que notre surprise en découvrant que si nous avions déjà payé pour entrer sur le territoire, il nous faudrait raquer à nouveau si nous voulions pouvoir en sortir.

Par un heureux hasard, j'emportai avec moi lors de ce séjour une oeuvre qui m'a donné à réfléchir sur ce pays, sur la culture caribéenne , sur les thèmes du voyage et de l'éloignement. C'est un recueil de "Douze contes vagabonds", du Colombien Gabriel G Marquez. Je lus d'abord avec amusement les premières lignes du conte "Un métier de rêve", que j'avais déjà lu par le passé. Elles décrivent avec une précision toujours d'actualité la vue que j'avais du hall de notre hôtel, plus proche voisin de l'hôtel Riviera, autrefois renommé, où nous avions failli séjourner mais nous nous étions ravisées après avoir lu qu'il n'était plus que l'ombre de son ombre.
Cet incipit résumait tout. En trente ans, seule l'injure du temps était venue modifier l'aspect de cet hôtel déchu, du malecón dont "le lugubre" se mesure à la teneur en nuages gris du ciel qui le couvre, et en définitive de la Havane tout entière. C'est d'un côté ce qui fait son charme je pense : qui n'a jamais rêvé de pouvoir retourner dans les lieux de ses souvenirs et les retrouver intacts, tels qu'ils l'étaient restés dans leur mémoire. Le soleil agit sur la ville comme sur un visage, cachant les rides et les taches grises. Mais dès que le ciel se couvre, la Havane ne peut plus dissimuler la marque du temps. Et nous l'avons vue, vieille et fripée, comme nous l'avons vue presque jeune et joyeuse.


Je tiens à préciser que je ne souhaite nullement faire ici le récit d'une ville misérable, car La Havane ne l'est certainement pas. Cette capitale restera pour moi une grande ville par la culture, par l'art, par ses gens pour la plupart accueillants. Je m'y suis rendue parce que je souhaitais voir par moi-même ce pays tout proche qui semble suspendu dans une autre époque. Je voulais me faire une idée propre et claire de la vie sur place, découvrir quelque chose, sans savoir exactement quoi. Je ne m'étais pas beaucoup renseignée avant mon départ, de la même façon que je n'aime pas lire les critiques d'une pièce de théâtre ou d'une exposition d'art avant de la voir par moi-même, pour me faire ma propre opinion, libre et personnelle. C'est à peine si je savais qu'il y avait deux monnaies sur place.

Pour moi la Havane se tient du haut de son île, telle une grande reine déchue, qui aurait perdu son panache au fil des années, sans s'en apercevoir, persuadée que son exil ne serait qu'éphémère. Car elle est comme exilée, loin de Miami, loin de la Colombie, loin de tous bien que toujours sur la carte, loin par la pensée.

J'aime à croire que la fin de cette triste ère que connaît Cuba approche, que bientôt la Havane se relèvera, et que cette péninsule s'ouvrira au monde, pas nécessairement pour s'américaniser de façon primaire, mais pour offrir plus de liberté aux gens, leur offrir le rêve de pouvoir voyager, comme en Colombie ou malgré tout les gens sont généralement suffisamment heureux chez eux pour ne pas se sentir pousser des ailes migratoires. J'aime à penser que les Cubains se souviendront de cette époque uniquement comme d'un mauvais rêve, et qu'une poignée de vieux réac' continueront de clamer que c'était mieux avant.

Mais ce n'est pas pour tout de suite. Aujourd'hui, les Cubains ne connaissent du monde extérieur que ce que les touristes ou la radio locale veulent bien leur dire. Les seuls ouvrages disponibles dans les librairies sont des ouvrages communistes ou d'autres relatant la vie du Che, jaunis par le temps, quand ils ne sont pas écornés. "Heureusement" pour eux, beaucoup de gens se bercent de la certitude que ça pourrait être pire, car tous n'ont pas la cruelle lucidité de l'artiste que nous avons rencontrée, ou les mêmes aspirations au voyage que cette âme égarée, prisonnière de son propre pays et de son propre esprit. En attendant, elle peint.

3 commentaires:

  1. C'est exactement cela. Les cubains, en général, prennent les touristes pour des ONG et ne songent qu'a leur soutirer le maximum d'argent.

    RépondreSupprimer
  2. sergio-paris-france10 décembre 2010 à 22:52

    Partout, dès qu'un touriste apparait, c'est la ruee pour essayer de l'arnarquer. Le relais routier 104 de la Cubacan sur l'autoroute national est le prototype même du vol organisé ou un café est facturé 1,50 CUC à des toutistes qui n'osent pas protester, tout cela après que le personnel ait trafiqué ke tiroir enregistreur. Tout le pays est à cette image, cafés, restaurants, etc.

    RépondreSupprimer
  3. cher sergio-paris-france, je t'invite à lire le conte intitulé "Bon Voyage, monsieur le Président", issu des Douze contes vagabonds de Gabriel G Marquez, cité dans le texte. Il y dresse un portrait des Caribéens juste à l'image des attrape-touristes que tu mentionnes, tu vas sourire !

    Reconnaissons quand même que ces pratiques sont répandues également ailleurs dans le monde (étant originaire de Tunisie, j'en sais quelque chose) et sont motivées par les convictions des commerçants peu scrupuleux, qu'il n'y a aucune obligation d'achat et que ce sont des prix malgré tout au-dessous du prix auquel est habitué le touriste lambda. Il faut avouer qu'ils n'ont pas tort sur ces deux points, bien qu'ils n'aient selon moi pas non plus raison de pratiquer un prix à la tête du client, pas plus que bien des "touristes une fois dans leur pays" de commettre des délits de faciès à tout va (à nouveau, étant originaire de Tunisie, et ayant vécu en Europe, j'en sais quelque chose).

    Concluons simplement et prudemment que partout sur Terre il y a des bons et des moins bons !

    RépondreSupprimer