"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

mercredi 8 décembre 2010

Chapitre II - Cuba, Terre isolée

Après une bonne nuit de sommeil, nous sommes prêtes à affronter notre destin, et à sortir visiter la ville, bravant tous les obstacles, le mauvais temps et les visages moins affables que ceux que nous connaissons en Colombie.

Le soleil nous fait l'honneur de sa présence, et le bus de l'hôtel nous emmène à La Habana Vieja. Les rues nous enchantent, le soleil donne une autre teinte aux maisons décrépites, un certain charme vieilli, mais soudain joyeux, tout juste comme nous.

Nous nous éloignons vite des autres touristes et commençons à déambuler, sans savoir trop ce que nous cherchons, de l'authenticité, capturer un peu de cette vie locale, et non pas uniquement regarder des murs rouges et bleus et des voitures des temps passés.


Notre promenade nous conduit devant une boutique un peu spéciale. Il s'agit de l'atelier d'une artiste, qui a élu domicile loin de la rue des vendeurs de peintures de paysages locaux certes kitsch mais ô combien réchauffés, et elle peint autre chose.

On entre découvrir cette petite pièce lumineuse, composée d'un chevalet, d'une petite table où sont posées les peintures. Ici une plante, là un fauteuil, sont autant d'accessoires qui insufflent à ce local un parfum d'authenticité. Ici il s'agit de meubles courants, rien à voir avec des trouvailles d'antiquaires, cependant ils ont été choisi avec soin et disposé avec goût. L'artiste, une cigarette à la main, semble avoir entamé la soixantaine, bien que ses courts cheveux noirs nous inviteraient à croire le contraire. Elle est vêtue comme elle a décoré son intérieur : avec soin et goût. Plusieurs bagues parent ses doigts, et elle semble savourer chaque minute de son travail. Je me l'imagine ayant voyagé toute sa jeunesse, pour nourrir son imagination et son inspiration, aussi parce qu'elle a l'air ouverte et intellectuelle, comme une dame du monde qui aurait beaucoup voyagé, toujours avec classe, élégance, et un carré Hermès noué au cou (oui mes a priori sont ridicules, mais ils ont été nourris à coups d'encarts publicitaires de magazines féminins, on ne se refait pas).

Nous engageons la conversation avec elle de manière plutôt naturelle. Elle nous explique ses techniques, nous décrit certaines de ses oeuvres. Un tableau me tourmente, et je ne le comprends pas : un mur tout noir, duquel se détache une main qui soutient entre le pouce et l'index une boule métallique. Cette boule contient une fenêtre au milieu de sa face visible, fenêtre sur une plage luxuriante de végétation, au bord de la mer. Un homme au visage déconfit se tient sur cette plage. Il ne profite pas de son île, au lieu de cela il est accroché aux barreaux de la fenêtre, des barreaux de métal, inaltérables. Pourquoi cet homme, qui vit sur une île de rêve est-il cramponné à cette fenêtre, qui donne sur une pièce noire. L'artiste me dit que c'est comme ça, et que même le plus bel endroit du monde devient une prison si l'on ne peut en sortir. Je reste perplexe, un peu décontenancée.

Cependant nous continuons de converser, et nous apprenons à notre hôte de fortune que nous résidons en Colombie. Elle nous demande comment c'est, si ce n'est pas trop dangereux - les idées reçues ont la vie dure… Nous lui chantons notre amour pour ce pays, et lui conseillons vivement de le visiter si elle a l'occasion de voyager. Non, je ne voyage pas. C'est sa réponse. Nous demandons des détails, étant donné cette phrase qui semble sans appel. Elle nous explique alors que quand on est Cubain, pour pouvoir sortir du pays, il faut un motif de voyage (le tourisme n'en est pas un), et une invitation personnelle de la part d'une personne qui se porte garant pour nous. Notre artiste nous explique que du haut de ses nombreux printemps, elle n'a jamais voyagé de sa vie et ne voyagera sans doute jamais, et que ses compatriotes en majorité non plus. Pas de télévision par satellite non plus, et seul un accès restreint à Internet est disponible, avec une connexion médiocre et un unique fournisseur d'adresses mail, correodecuba.com.

Le tableau prend alors pour moi tout son sens.


Nous la quittons en prenant les coordonnées de notre charmante amie, qui nous a apporté en une demi-heure ce que nous cherchions depuis la veille, parler franchement à des gens d'ici, profiter de ce que la langue ne soit pas une barrière, et de ce que la culture ne soit pas pour nous qui vivons si près, un si grand clivage.


Nous nous éloignons, repensant à cette rencontre, et à ce que nous venons d'apprendre, pour nous diriger vers une église, au sortir de laquelle nous nous attardons à prendre des photos artistiques. Jusqu'à ce que la vue d'un couple m'arrête tout net. La fille me dit quelque chose, je crois la connaître, mais ne me souviens plus d'où. Il faut dire que je ne m'attendais pas à devoir faire appel à ma mémoire de souvenirs parisiens si loin de la Tour Eiffel. Je suis incapable de quitter mon regard de cette jeune fille, et finis par tenter une approche timide en leur demandant s'ils sont Français. Ils répondent par l'affirmative. La fille ressemble à cette ancienne miss météo de Canal, dont bien sûr j'ai oublié le nom. C'est marrant qu'elle fasse du tourisme au même endroit et au même moment que moi. En bas de la rue j'ai l'impression que des gens sont assis et se préparent. Je m'imagine que c'est un orchestre de rue qui va donner un petit concert. Ma camarade de voyage pose et je prends des photos, et cette star parisienne est là, toujours. Alors je lui pose la question : "C'était pas vous la fille de Canal + ou un truc comme ça ?", auquel elle répond un oui timide, presque chuchoté. Et alors que je m'apprête à répliquer que ça fait dix bonnes minutes que je me le disais, mais que je n'avais pas pu avoir de confirmation de mon amie parce que bon elle est Italienne et de toutes façons on vit en Colombie alors j'ai un peu oublié la France et son showbiz, elle me coupe l'herbe net en me disant qu'en fait là ils sont en train de tourner…

En fait ce n'était pas un orchestre, c'était l'équipe de tournage, et deux personnes viennent nous demander de continuer de marcher plutôt que de rester immobiles à deux pas de la prise de vue. Ah euh bon, ben euh on descend, et on se retrouve au milieu de l'équipe de tournage, qui n'en a rien à faire visiblement. Je capture deux trois photos, pour chercher plus tard à qui appartiennent les autres visages qui ne me reviennent pas (bien que j'ignore si c'est dû au fait que je n'ai jamais vraiment connu le nom des célébrités françaises ou au fait que ce n'en soient pas). Ils filment trois fois la même prise, et nous nous lassons, et préférons passer notre chemin. Je me demande en m'éloignant si les Français que nous laissons ont la moindre idée de la vie ici, coupée du monde, sans autres nouvelles que celles véhiculées par l'Etat, ou si l'on verra uniquement des décors de carte postale et des acteurs parisiens dans leur film dont j'ai déjà oublié le nom…



Nous continuons notre route, pour nous arrêter par hasard dans deux boutiques de souvenirs mitoyennes, où nous faisons la connaissance d'une jeune femme aussi chaleureuse que serviable. Elle nous proposera, en même temps que des souvenirs de son pays, des activités pour l'après-midi, et des lieux à voir. Elle nous expliquera que si l'on n'a pas de quoi payer, elle accepte le troc, de vêtements, ou de produits d'hygiène (savon, shampoing) ou encore de sucreries pour les enfants, qui sont si dures à trouver ici. Nous n'en revenons pas, bien que cette rencontre nous offre des réponses aux questions que nous nous posions depuis la veille : où les gens achètent-ils leurs vêtements, eux qui semblent vêtus au même siècle que nous, sans que l'on puisse trouver aucune trace de magasins actuels.


Cuba, terre où communiquer et partager semble si facile et si difficile à la fois...

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