"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

jeudi 15 novembre 2018

Envie de se sentir mieux ?

J'ai longtemps cru que la "méditation" était un truc pour hippies, une sorte de placebo pour gens qui s'ennuient et qui ont besoin de s'occuper.
Pas quelque chose de scientifique, ni de cartésien. Donc pas quelque chose pour les gens rationnels.

J'ai depuis changé d'avis.

Profondément cartésienne, j'ai commencé à m'intéresser au fonctionnement du cerveau humain pour mieux me comprendre, et mieux déchiffrer les gens autour de moi, que ce soit dans un cadre professionnel ou personnel. Il y a quelques années, je commençais à gérer une équipe et j'avais envie de mieux comprendre comment mener cette mission au mieux, pour chaque individu de l'équipe comme pour le projet.

Alors je me suis plongée dans toutes sortes de lectures qui m'ont donné un éclairage nouveau.

J'aimerais introduire dans ce post un concept clé que je ne connaissais pas et dont je n'avais jamais soupçonné l'importance.
Ce concept c'est le réseau mental par lequel nous faisons l'expérience du monde.

Ce concept devrait tout particulièrement intéresser ceux et celles* (décision volontaire de passer à l'écriture inclusive) qui sentent que leurs idées se bousculent à cent à l'heure, qui n'arrivent pas à "éteindre" leur cerveau, qui paniquent en pensant à l'avenir (ou au passé), qui "ruminent", ont du mal à se concentrer, qui se sentent très (trop) émotifs, qui se sentent perdre le contrôle, voire perdre pied, qui ont des insomnies à cause de leurs pensées. Ceux et celles qui sont fatigués et s'écroulent car n'arrivent plus à entendre les messages que leur envoie leur corps.
Ceux et celles qui aspirent à une plus grande quiétude, à mieux gérer leurs émotions, à faire le calme dans leurs pensées, à arrêter ce flot incessant, à s'ancrer davantage afin d'y voir plus clair et de faire le tri, pour prendre de meilleures décisions.

Tout commence avec une étude scientifique (Farb et al) datant de 2007, qui a mis en évidence l'existence de non pas un mais de deux réseaux distincts par le biais desquels l'être humain interagit avec le monde.

Dans un premier lieu, le réseau dit du "mode par défaut", ainsi nommé car il s'active quand notre attention n'est tournée vers rien en particulier et que l'on réfléchit sur soi. Ce réseau inclut certaines régions du cortex pré-frontal (la partie analytique de notre cerveau, capable de raisonner, de plannifier et de se projeter dans l'avenir entre autres), ainsi que certaines régions responsable de notre mémoire. Par exemple, si vous marchez dans la rue, c'est comme ça qu'au lieu de contempler ce qui vous entoure, vous pouvez vous retrouver à penser à votre liste de course, aux emails que vous devez envoyer, à vos projets de vacances, ou à ruminer la dispute avec votre collègue et rejouer la scène en imaginant ce que vous auriez dû répondre.
Ce réseau, au fil du temps, crée une grille de lecture fondée sur nos valeurs, sur notre culture, sur l'historique de nos interactions humaines, une sorte de narration que l'on se conte à soi-même et que l'on entretient, qui nous permet de donner sens au monde qui nous entoure sans avoir à tout analyser à chaque fois. On appelle cette expérience à soi le "soi narratif".

Lorsque l'on fait l'expérience du monde qui nous entoure par le biais du "soi narratif", on le voit comme notre oeil verrait une image au travers d'une lentille polarisée, où l'angle de polarisation serait différent pour chacun. À cela vient s'ajouter un second filtre : notre interprétation de cette image polarisée. Par exemple quand je marche dans la rue et que je sens une goutte d'eau sur mon visage, ce n'est pas une goutte froide et liquide qui touche le haut de mon front, non c'est un signe que l'automne approche. Dorénavant il faudra garder un parapluie d'appoint dans le sac à main. Qui dit automne et pluie dit rhume. Prévoir un paquet de mouchoirs en papiers aussi. Mes chaussures vont se mouiller. Penser à les imperméabiliser avant de les porter à nouveau. Ajouter du spray imperméabilisant à la liste de courses. Est-ce que mon manteau a besoin d'être amené au pressing ? 
Bref - vous connaissez la chanson !

Il n'y a rien de mal avec le "soi narratif" en soi. Là où ça pose problème, c'est quand on utilise exclusivement ce réseau de pensée pour intéragir avec le monde.
Car il faut savoir qu'il existe un autre réseau, comme l'a démontré Farb dans son étude scientifique. Une toute autre façon de faire l'expérience du monde, qui peut nous ouvrir un champs des possibles.

Vous savez comme les enfants ont une propension à contempler le monde qui les entoure et à vivre dans et pour le moment présent ? Ils font l'expérience du monde par le "soi expérientiel", ou réseau dit d'expérience directe. Ce réseau est activé lorsque l'on observe le monde et soi-même, sans jugement : perception des sens, des pensées, des émotions.
Ce réseau fait appel à d'autres régions du cerveau : le cortex insulaire, associé aux perceptions sensorielles et le cortex cingulaire antérieur, associé à l'attention.
Quand ce réseau est activé, on ne réfléchit ni au passé, ni au futur, ni aux autres, ni même à soi. Pour tout dire, on ne réfléchit pas, on fait l'expérience au travers de ses sens, perceptions et émotions. On traite les informations de façons sensorielle, plutôt que conceptuelle.
De retour à l'exemple où je marche dans la rue, si maintenant j'active mon moi expérientiel, je ressens la fraicheur de l'air sur mon visage, la dureté du sol sous mes pieds, le poids du sac sur mon épaule droite. Je sens l'odeur des marrons chauds qui grillent dans un étal tout proche, la chaleur de la bouche d'aération du métro. Je vois les gens déambuler autour de moi, les nuages épais au ciel, j'entends le bruit des voitures qui passent, j'entends mes pas cadencés ainsi que les gens qui bavardent autour de moi. Je ressens cette goute froide sur le haut de mon front. La différence de température crispe momentanément les muscles de mon visage et je cligne des yeux. Je me sens fatiguée, et j'observe que je ressens une légère douleur à la gorge.
On commence à toucher à la pleine conscience (mindfulness en anglais), décrite comme "porter notre attention d'une certaine manière : délibérément, au moment présent, sans jugement de valeur" par Jon Kabat-Zinn, scientifique qui s'est appliqué à étudier la pleine conscience sous un prisme scientifique.


Plusieurs conclusions d'autres études scientifiques rendent ce second réseau d'expérience encore plus intéressant.

Premièrement, il est possible d'entraîner son esprit à ces modes d'expérience. En particulier, cela veut dire que plus on pratique le soi expérientiel, plus il est facile de l'activer et de le maintenir actif, et les zones activées du cerveau se renforcent avec la pratique. Autre fait : activer un de ses sens a pour effet d'activer ses autres sens. Cela signifie que lorsque l'on active son moi expérientiel, on augmente les données que l'on perçoit du monde extérieur. En particulier, on est capable de percevoir des données qui auraient été rognées par notre filtre narratif. En tout état de cause, cela nous permet d'avoir une vision enrichie du monde qui nous entoure, et de ce fait notre prise de décision est mieux informée (davantage d'informations et des informations plus précises).

Deuxièmement, les régions du cerveau associées au soi expérientiel sont également associées à la régulation de nombreuses fonctions vitales du corps humain - battements cardiaques, température du corps, sudation, hormones et donc émotions. En d'autres termes, en entraînant son cerveau à se concentrer sur ses sens, ses émotions, sur le moment présent d'une façon purement observatrice, on renforce en même temps, sans même avoir à y réfléchir, sa capacité à gérer ses émotions et réguler son corps. On devient meilleur à percevoir ses émotions négatives comme des fluctuations sensorielles plutôt que des états affectifs et l'on réduit notre réactivité cognitive à leur égard, ce qui veut dire plus simplement qu'on y devient moins sensible. Personnellement je trouve cela fascinant !

Troisièmement, ces deux réseaux d'interprétation du réel sont inversement proportionnels, un peu comme des muscles antagonistes. Cela veut dire que lorsque l'on active le soi narratif, on éteint le soi expérientiel, et vice versa. Ceci explique par exemple le classique "ai-je bien fermé la porte à clé ?" qui arrive souvent quand on s'est préparé chez soi de façon machinale et automatique, et que bien après être sorti de chez soi, on n'a plus aucun souvenir des actions que l'on a faites.
Mais cela veut également dire que lorsque l'on active son moi expérientiel, on éteint son moi narratif ! Et c'est là que ça devient encore plus fou : en d'autres termes, quand on se sent pris en otage par ses pensées, en situation d'insomnie par exemple, être capable de focaliser son attention sur le présent et sur ses sens permet de se libérer de ces pensées. N'est-ce pas là une découverte magistrale ?
Par ailleurs, le soi expérientiel nous permet d'ancrer notre attention sur le réel, que ce soient nos actions (comme fermer la porte à clé), comme les personnes avec lesquelles on intéragit. Or l'attention que l'on porte à autrui est souvent perçue comme de la "présence", la composante fondamentale du charisme.



Pour récapituler, ré-apprendre puis s'entraîner à faire l'expérience du réel via son moi expérientiel a de nombreux avantages :
- aider notre cerveau à percevoir plus de données et des données plus précises du monde extérieur (ainsi que de notre monde intérieur), et à mieux faire la différence entre le réel et l'interprétation que notre "moi narratif" en fait;
- améliorer notre prise de décision en nous donnant accès à davantage d'information (et des informations plus précises) et en diminuant nos biais cognitifs;
- aider notre cerveau à mieux réguler nos émotions ainsi que notre bio-chimie;
- diminuer l'impact des émotions négatives sur notre organisme;
- ne plus être à la merci du flot de ses pensées, d'avoir une méthode pour s'en déconnecter;
- d'augmenter son attention et d'être plus présent, qualité essentielle au charisme.


Wow je réalise que c'est un article très long.
Pourtant je n'ai même pas abordé la question suivante : comment faire pour justement entraîner son esprit à voir le monde au travers du soi expérientiel, moins dans l'interprétation et plus dans l'observation ? J'y ai déjà fait allusion en parlant de méditation et de pleine conscience et vous propose quelques exercices pratiques ici.

En attendant n'hésitez pas à me faire part de vos commentaires. Cet article vous a-t-il intéressé·e ? Y avez-vous trouvé des réponses à des questions que vous vous posiez ?

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