Je suis dans ce grand hall d'aéroport, qui a le mérite d'être presque accueillant avec son haut plafond orange et sa vue panoramique sur un beau ciel bleu estival, mais ne dispose toutefois pas du wifi, ou plutôt si, mais à un prix que je ne veux pas payer le jugeant exorbitant.
Alors pour m'occuper, trop fatiguée pour lire et pas assez pour m'assoupir, je regarde les gens autour.
Certaines personnes oublient parfois le sens de l'expression "espace public" et laissent, à mon plus grand amusement, transparaître un pan du "moi secret" coutumièrement dissimulé avec soin par chacun de nous.
Alors que des gens dorment profondément, en position fœtale, sur des sièges mi-nylon mi-métal, d'autres s'affairent à avaler un sandwich jamón-queso, plus comme s'il en relevait d'une question de vie ou de mort que pour savourer un mets des plus communs en terre ibérique.
Ça me fait penser à cet épisode d'hier soir, dans le métro parisien. Autre décor, autre population, même constat.
Ligne 10, plus remplie que d'habitude, du coup moins intimiste à mon goût, mais c'est une autre histoire. Le métro avance, de sa cadence mesurée, au rythme des ouvertures de portes et coups de klaxon de leur fermeture, éclairant les passagers de ses traditionnels néons blancs jaunasses transformant le plus travaillé des bronzages en un vulgaire teint blafard maladif. Les usagers sont là, assis amorphes, repensant à la plage et à l'été qui s'achève, ou préparant dans leur tête la liste des courses du soir, ou juste là physiquement, ayant éteint leurs neurones par économie d'énergie.
On est à Mabillon, et le klaxon retentit, marquant la fermeture imminente des portes. Personne n'y prête aucune attention, c'est à peine s'il nous fait encore mal aux tympans ce bruit pourtant franchement hideux, et dont l'auteur - on m'a raconté qu'il y avait un labo qui inventait tous les sons qu'on entend en train ou en métro - devait être un sadique psychopathe. Et comme l'écho de ce son est sur le point de tomber sous notre seuil auditif, une dame surgit de l'escalier du quai. Elle aussi, pendant qu'elle descendait cet escalier, elle a entendu cette sirène, mais au lieu de céder à l'appel de la prudence et de capituler en se disant qu'elle avait loupé le métro, ses instincts primaires en ont décidé autrement, la poussant dans un sprint guépardien, entre cet escalier pourtant à angle droit avec le passage menant au wagon et la porte, béante, menaçant de se refermer brutalement d'une seconde à l'autre. Je le vois dans la flamme qui a surgi dans ses yeux, cette femme veut à tous prix rentrer dans le métro. Plus rien ne compte tout autour, et sa course se transforme en une lutte épique contre le temps. Elle défie le conducteur du métro, les portes métalliques, et ce sous les (rares) regards des voyageurs de la rame.
Elle bondit dedans, manque de se casser la gueule contre la fenêtre de la porte d'en face, rapport à toute la force cinétique qui l'habite encore et qu'elle n'a pas encore commencé de dissiper sous forme d'effet joule, pour le plaisir olfactif à venir de ses voisins de sièges, mais elle s'en fout, elle est dedans. Elle a réussi son coup, elle y est, grand pied de nez non pas seulement au métro, mais à la vie, à l'humanité tout entière, à l'univers. Elle a réussi et elle l'affiche à travers un énorme sourire, de ceux qu'on ne peut réprimer, comme si elle avait des crampes au niveau des zygomatiques. Bref la gêne de s'être montrée sous un jour peu flatteur, celle liée au fait qu'elle respire à présent comme une machine à vapeur pour retrouver son souffle, celle de s'être vautrée et d'avoir manqué de se retrouver à quatre pattes, et celle de transpirer comme un bœuf après cet effort herculéen, toutes ces gênes cumulées n'y changent rien : elle est dedans et ne reverra plus jamais les gens autour !
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