"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

lundi 23 août 2010

Noces de mi-coton

Ça y est, j'ai passé le cap des six mois en tant que field engineer ! Et pourtant je suis ici à me la couler douce à Tunis, qui l'eût cru...

La semaine prochaine je repars pour le Nouveau Monde commencer l'acte II de cette aventure. Mais avant faisons le bilan de cette première partie.

Je pense pouvoir affirmer que je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer ces six premiers mois. Il m'est arrivé de me sentir seule, davantage du fait d'un décalage horaire vraiment pas pratique que du fait humain puisque je vis en colocation et travaille en équipe. Esseulée serait peut-être le terme qui convient pour décrire cet état que j'ai connu parfois, où l'on sent que personne ne nous donne signe de vie, que l'on vit dans une autre dimension et que l'on n'en sortira peut-être plus jamais, en tous cas on ne sait ni quand ni comment...

Lorsque je suis partie, mon enthousiasme était voilé d'un soupçon d'appréhension. Pas parce que je partais dans un pays où je ne maîtrisais ni la langue ni les us, non, bizarrement ça je ne m'en souciais pas le moins du monde, parce que sinon j'aurais pris la peine de réviser ma conjugaison et mon vocabulaire plutôt que de regarder des films des années 60. Non cette appréhension était plutôt due aux gens que je laissais derrière moi, à tous mes proches et amis qui allaient poursuivre le cours de leurs existences sans plus que je ne fasse partie de leur quotidien. Ils allaient évoluer, passer à autre chose, changer, et moi j'allais être le témoin impuissant de ces métamorphoses, loin de tous, oubliée, croyant que j'allais rester celle que j'étais et que quand je reviendrais, je serais au même point qu'à mon départ et n'aurais plus aucun repère ni balise, ni dans cette future ville anglaise où il me faudra m'installer, ni chez mes proches retrouvés.

Oui je sais, ça tournait au scénario catastrophe dans ma tête et en plus c'était purement égocentrique. Enfin bon je mets au défi quiconque s'apprête à s'en aller vers l'inconnu pour une durée indéterminée et un retour vers un autre inconnu de penser à la beauté du geste et à son prochain.

Et avec ce premier retour six mois après mon départ, un constat s'impose : j'avais tort.

Mes amis n'ont pas profité de mon absence pour déménager, changer de tête et de personnalité. Ils sont restés eux mêmes. Bien sûr ils ont évolué : certains se sont mariés, d'autres ont changé d'emploi ou en ont trouvé un, mais pas de changement drastique, propre à changer nos rapports, qui fasse qu'on ne rie plus des mêmes choses ou que l'on ne trouve plus rien à se dire. Ma famille elle non plus n'a pas attendu mon départ pour vider ma chambre et la transformer en séjour, puisque ça fait un moment qu'ils l'avaient fait.

Et quant à moi, eh bien mine de rien j'ai changé. Plus que je ne l'imaginais, mais plus aussi je pense que ceux que j'ai laissés. Je ne saurais pas expliquer en détail en quoi j'ai changé, mais parfois j'écoute une conversation, souvent sur un voisin, ou une connaissance d'école, et je me dis qu'avant j'y aurais pris part, mais là elle ne m'intéresse pas, elle me semble à des années lumières de moi. Et tandis que les gens autour parlent, je me fais cette réflexion et prends conscience que je m'éloigne, pas à pas, inévitablement. Partir loin m'a fait me focaliser sur mes priorités, me concentrer sur les gens que je veux garder pour toujours dans mon cœur. Les voisins et les connaissances peuvent aller au diable, ils ne m'intéressent plus.

Ou alors, autre situation. Parfois j'aimerais sortir un mot qui ferait rire pile dans ce contexte. Mais il est en espagnol et ferait rire en Colombie, pas ici, ou alors il faudrait expliquer ce mot, qui bien sûr n'a aucun équivalent en français ou en arabe, alors pourquoi parler. Et en me faisant cette réflexion pendant qu'autour les autres continuent la conversation sans se douter de mon monologue intérieur, je me sens soudainement ailleurs, loin des miens.


Voici donc tout le problème de l'Étranger. Réussir à s'adapter à l'environnement local de telle sorte que l'on cesse d'être traité d'étranger, c'est ce que l'on s'échine à faire, par défi, par facilité aussi pour certains. Combien d'étrangers m'ont dit se sentir Colombiens et envisagent d'y faire leur vie ? Tirer un trait sur le passé et tout recommencer, voilà leur mantra.

Moi je ne veux tirer de trait sur aucun passé. Mon passé c'est ma richesse, et je le cultive, sans pour non plus vouloir tirer un trait sur l'avenir, qui sera un jour un autre joyau de mon trésor. Alors il faut s'adapter, sans pour autant perdre sa spécificité...

Mais à mesure que l'on réussit le tour de force, on s'éloigne de ce qu'on était, et de ceux qui étaient ainsi. Inexorablement, se différencier des siens un peu plus chaque jour ; nager vers le grand large sans savoir si une berge nous attend en face ou si l'on pourra revenir au moins vers notre rivage un jour ; courir le risque de ne plus rencontrer personne qui nous comprenne de manière complète, voici les appréhensions qui m'accompagnent alors que je me prépare une fois de plus à fermer une valise que je n'ai pas défaite depuis fin novembre.

L'avenir nous le dira...

6 commentaires:

  1. Congratulations on the 6 month mark!

    I know what you mean about the apprehension in moving abroad and the fear of missing out on the lives of your friends and family.

    I was lucky enough to attend the weddings of two of my closest friends. However, I know I will end of missing a lot of other stuff once I move.

    Thanks for finding me btw! Its been really great to communicate with somebody that's been where I am now.

    -Al

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  2. haha I have no idea how you understood this post (I google translated it into English and could not even understand one sentence properly!) so maybe you just speak French??!

    no pb, anytime, been there done that, the least I can do is share my own experience!

    disfruta de este descanso lo máximo, porque no tienes ninguna idea de cuando vas a poder tomar tus próximas vacaciones ;-) ánimo y suerte con los papeles, todo saldrá muy bien, Blanca es un ángel :)

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  3. Gracias mi amiga! I appreciate the kind words and encouragement (oddly Rosetta doesn't cover that statement)

    haha, I wish I spoke French that would make learning Spanish a lot easier. I cheated and made Google translate your page for me, I was able to get the gist and the rest I did my best to recover from context.

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  4. Bonsoir Kaouthar,

    Ce message est pour moi étonnant, en ce sens qu'il professe la réussite d'un voyage sans qu'il y ait les revers de médaille dont, ayant suivi peu ou prou le même parcours, j'ai souvent souffert. Je vais donc témoigner de ce que je ressens, et que, j'espère, tu partageras si cela a le malheur de t'arriver. Rien n'est blanc ou noir; le voyage est une expérience forte en contrastes, et c'est sans doute cela que l'on recherche en baroudeurs.

    Quand on part, c'est avec le goût de la nouveauté et de la rencontre d'une autre culture. S'expatrier, c'est vouloir cette conquete; une attitude individualiste à première vue.

    Mais comme tu le dis, on ne tire pas un trait sur son passé (je n'ai pas rencontré les internationaux qui se sentent colombiens dont tu parles). On porte avec soi son histoire (qui transparait dans le caractere et la sensibilite), le souvenir et la bienveillance indispensable des siens. Autant que possible, on reste en contact.

    Avec le temps (cf chanson de Léo Ferré), malheureusement, c'est le manque de son monde qui devient une réalité que la conquête réussie de cette nouvelle terre ne suffit pas forcément à combler.
    Je me suis parfois senti euphorique, planant entre deux cultures, à l'aise loin de chez moi. Mais être étranger où l'on vit et retourner chez soi pour faire l'amère expérience du changement qui a lieu continuellement en notre absence, c'est réaliser que bien qu'unique et irremplacable, on n'est pas pour autant le centre d'un monde qu'on pensait sien en partant. On ne possede rien. Notre richesse vient davantage de ce que l' on donne et partage au qotidien. Ca a remis a plat la confiance que je pouvais avoir en moi et réappris "à la dure" l'humilité nécessaire pour être aimé plus que désiré. Les amis fidèles restent, heureusement, et c'est eux qui nous aident à revenir de notre voyage.
    Crois-moi, c'est une épreuve de n'être plus colombien désormais, et de se sentir d'une certaine facon étranger dans mon propre monde.
    La vie continue, il se presente rapidement d'autres voyages, mais une partie de l'experience vecue reste tristement incommunicable, enfermee a jamais dans le coeur du voyageur. C'est peut etre ca qu' on appelle nostalgie.

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  5. Tu as bien raison d'apporter ta vision des choses Guillaume, cependant je pense que chacun vit une expérience différente, à la lumière de son histoire principalement et de son caractère.

    Je ne prétends pas parler pour tous les expatriés, et suis bien consciente de l'originalité de mon parcours personnel. Il ne transparaît malheureusement pas toujours à travers ce blog, même si je ne le cache pas non plus.

    Je n'ai de chez moi que mon foyer parental, par là je veux dire les individus, pas la maison, et je ne vis plus parmi eux depuis maintenant sept ans. J'ai vécu plusieurs déracinements et mes amis aussi, parfois nous nous sommes retrouvés, parfois pas ; et malgré tout j'ai continué de les voir et/ou de prendre des nouvelles, et ce même quand il s'agit d'amis que j'ai laissés quand j'avais neuf ans.

    Peut-être pour cela, nous n'avons pas le même rapport à ce voyage, peut-être de par nos caractères aussi ou les personnes laissées loin au moment de partir.

    Bref malgré tout je ne pense pas essayer de blanchir le tableau, je raconte au jour le jour le bon et le moins bon. Là je suis heureuse d'être en famille, et heureuse à l'idée de repartir aussi, et voilà :)

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