"Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre." - R. Descartes

dimanche 26 septembre 2010

Un soupçon d'ici (2)

[suite de ce message]

En entendant le nom de notre hôte de ce soir, les passants nous indiquent sans hésiter une direction. Un GPS n'en aurait pas fait autant.


La casa de notre ami est petite, mais cossue. C'est la maison de la mama, un savant mélange de passé et de présent, de moderne et de désuet, un joyeux gourbi plein de couleurs et de convivialité, qui ne doit d'être confortable et toujours debout qu'au climat clément de la région.
Les murs sont en briques rouges, de l'extérieur comme de l'intérieur, semblables au jour où ils ont été bâtis. D'ailleurs les briques qui serviront sans doute à achever la construction sont disposées dans deux coins de la pièce principale, en piles plutôt larges et à hauteur de coude, formant des meubles de fortune. Une tôle ondulée fait office de toit. Aux murs sont accrochés des photos d'enfants, deux casques de moto et le gilet orange fluo serti du numéro d'immatriculation du bolide qui va de pair, un casque de vélo, un miroir rectangulaire un peu usé, que l'on dirait sorti d'un film en noir et blanc.

Sur le meuble de fortune, en retrait, on distingue un mini PC portable qui joue des tubes colombiens, et une autre photo d'enfant, au milieu d'un cadre aux finitions approximatives, en bambou, tel que ces cadeaux que l'on nous fait confectionner à l'école primaire pour la fête des mères, que notre maman garde toute sa vie plus pour nous faire plaisir que pour la valeur artistique ajoutée à la décoration de son intérieur. Trônent aussi des objets aléatoires tels qu'un bloc note, quelques crayons, et quatre gros cylindres de bambou, percés de trous à diverses hauteurs, comme s'il s'agissait d'instruments à vent. J'apprendrai plus tard qu'il s'agit d'un prototype de chaise en bambou, dont notre hôte a lui-même dessiné le modèle, car il a pour projet de monter sa boîte de confection de meubles originaux en bambou. Il a déjà commencé avec d'autres objets, expliquera-t-il en brandissant le cadre dont l'arrière a été coupé dans du carton, et qui reposait en fait sur la table non sur un pied, qui n'a pas encore été taillé, mais en équilibre sur deux tiges métalliques recouvertes de plastique vert.

Cette pile de briques fait triple emploi puisqu'elle marque également la séparation entre la pièce principale et le coin cuisine. Sur une table siègent quelques marmites, tandis que d'autres ustensiles pendent au mur : à côté de la râpeuse kitsch vert fluo, la cuiller grand format en téflon et le marteau pilon traditionnel en bois. Sur une autre table placée à angle droit, a été installée la gazinière, une double-plaque électrique de camping, sur laquelle deux poêles cuisent déjà le dîner de ce soir, une en téflon et une sans manche, noire de graisse et pleine d'huile, cette juxtaposition résumant parfaitement le mariage cavalier des tendances, époques et moyens de ce home sweet home colombien.

Ne cherchez pas l'évier, il est dehors, ainsi que les sanitaires et la douche, dans la petite cour derrière la maison. C'est là que vit aussi la poule domestique, chagrine depuis le suicide de sa sœur, par obésité volontaire. Le deuil ne l'empêche pas de manger cela dit, elle est d'ailleurs en bonne passe de rejoindre sa frangine au paradis des cocottes, nous dit le maître des lieux.

[à suivre]

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